6/01/1965

Problèmes cruciaux pour la psychanalyse


    Et si, en plus, vous soufflez un peu ce goulot rentré, alors vous avez ce très, très joli schéma d'une double sphère, l'une comprenant l'autre et comme la dernière fois je pense que vous l'avez entendu, ceci est particulièrement heureux pour vous faire, en quelque sorte, toucher du doigt de la façon la plus originelle quel avantage pour son modèle l'homme a pu trouver très tôt dans cette double et conjuguée image du microcosme et du macrocosme. A savoir que ce serait pour moi un jeu - auquel malheureusement je n'ai pas le temps de me livrer, je vous l'esquisse - de vous montrer que par exemple, la première astronomie chinoise, qui est géniale, je vous l'assure, la première astronomie chinoise, celle qu'on appelle du Kai Thien, se composait d'une terre ainsi formulée [figure], d'un ciel qui la recouvrait comme bol sur bol - et dont les racines du ciel étaient censées plonger dans quelque chose qu'on tendait plutôt à considérer comme aqueux - et qui étaient portées comme sur l'eau serait porté un bol retourné. Ceci permettait bien plus que le repérage très exact d'un certain nombre de coordonnées géographiques et astronomiques, mais toute une conception du monde. L'ordre, l'ordre des pensées comme des choses et l'ordre de la société étant... s'inscrivant entièrement, de façon plus ou moins analogique, homologique, par rapport à ce qu'un tel schéma permettait de marquer des rapports de ce qu'on pourrait appeler les coordonnées verticales, les coordonnées à l'azimut et avec les coordonnées équatoriales.

    Quand on était en Chine, bien sûr, le pôle nord venait à peu près se placer comme ça, comme un bonnet incliné, et puis le pôle de l'écliptique, on savait parfaitement qu'il était différent, venait se marquer à côté. Ça pouvait prêter à toutes sortes de différenciations, d'analogies, je vous l'ai dit, d'inter-noeuds classificatoires, et de correspondances où chacun pouvait retrouver sa place avec plus d'aise qu'ailleurs. Ce schéma fondamental - je vous fais intervenir l'astronomie chinoise, c'est un exemple - ce schéma fondamental, vous le retrouvez toujours et à tous les niveaux de métamorphose de la culture, plus ou moins enrichi mais sensiblement le même; plus ou moins cabossé, mais avec les mêmes issues, je veux dire, issues nécessaires toujours plus ou moins camouflées car, bien entendu ici [en A] on ne sait pas ce qui se passe mais, comme à la base de l'expérience analytique on peut également se passer de savoir ce qui se passe, à savoir où est le point de la suture, le point de la suture entre ce que je pourrais appeler la peau externe de l'intérieur, et ce que je pourrais appeler la peau interne de l'extérieur.



3/03/1965

Problèmes cruciaux pour la psychanalyse


    L'existence du verbe être, dans les langues indo-européennes, est là, sans doute, pour promouvoir au premier plan cet Ich comme étant support du sujet, mais toute langue n'est point non plus ainsi faite, et tel problème, ou faux problème, logique qui peut se poser dans le registre de nos langues indo-européennes, dans d'autres formes du statut linguistique, c'est pour cela que j'ai tenu aujourd'hui, simplement comme indication, point d'accrochage, référence, à mettre sur ce tableau quelques caractères de chinois dont vous verrez ce qu'ils signifient et quelle utilisation j'en ferai tout à l'heure.

    Si les problèmes logiques du sujet dans la tradition chinoise ne sont pas formulés avec un développement aussi exigeant, aussi approfondi, aussi fécond de la logique, ce n'est pas, comme on l'a dit, qu'il n'y ait pas dans le chinois de verbe être. Le mot le plus usuel, dans le chinois parlé, pour le verbe être se dit shì  . Bien entendu, comment pourrait-on s'en passer, en usage ? Mais qu'il soit fondamentalement, et c'est le deuxième caractère de ces trois écrits au tableau, à gauche, dans la forme lisible la plus reconnaissable dans l'imprimé où ces caractères s'écrivent; à droite, dans la forme cursive où, cette formule que je vous apporte, je l'ai effectivement recueillie dans une calligraphie monacale, et vous allez voir quel sens elle avait; le caractère du milieu, de cette formule qui se dit rúshì ti 如是体 comme est le corps, ce shi [cf.15] est aussi un ce, un démonstratif, et que le démonstratif en chinois soit ce qui serve à désigner le verbe être, là est quelque chose qui montre qu'autre est le rapport du sujet à l'énonciation où il se situe.



10/03/1965

Problèmes cruciaux pour la psychanalyse


    Bien sûr, ceci ne fait que recouvrir des choses bien connues depuis longtemps, et je me suis dispensé de vous donner ici la première phrase du chapitre II du Tao tö King 92, [Dàodéjīng道德經] parce qu'aussi bien il aurait fallu que je commente chacun des caractères. Mais ces caractères sont tellement, pour quiconque peut se donner la peine d'en appréhender la référence, tellement significatifs, que l'on ne peut pas croire qu'il n'y ait pas quelque chose de la même veine logique dans ce qui est énoncé, en ce point originel pour une culture, autant que pour nous l'a pu être la pensée socratique de ce qu'il y a d'originel.

    « Que, pour tout ce qui est du ciel et de la terre, que tous - le terme universel est bien, bien isolé, posant la fonction de l'affirmative universelle comme telle - , que tous sachent ce qu'il en est du beau, alors c'est de cela que naît la laideur.»

    Ce qui n'est pas pure vanité, de dire que, bien sûr, définir le bon, c'est du même coup définir le mal. Ce n'est pas une question de savoir ce qu'on distingue, en quelque sorte, c'est un nœud interne. Il ne s'agit pas de savoir ce qu'on distingue, en quelque sorte comme on distinguerait les eaux supérieures et les eaux inférieures dans une réalité confuse; ce n'est pas de ce qu'il soit vrai ou pas que les choses soient bonnes ou mauvaises qu'il s'agit - les choses sont - , c'est de dire ce qu'il en est du bien qui fait naître le mal; le fait, non pas que cela soit, non pas que l'ordre du langage vienne recouvrir la diversité du réel, c'est l'introduction du langage comme tel qui fait, non pas distinguer, constater, entériner, mais qui fait surgir la traversée du mal, dans le champ du bien, la traversée du laid, dans le champ du beau.



12/05/1965

Problèmes cruciaux pour la psychanalyse


    Est-ce que nous ne saisissons pas là que, pour d'autres traditions de pensée... je l'illustre, celle du Tao par exemple, qui toute entière part d'une appréhension signifiante dont nous n'avons pas à chercher ce qu'elle représente pour eux de signification, puisque pour nous c'est tout à fait secondaire. Les significations, ça pullule toujours, vous mettez deux signifiants l'un en face de l'autre, ça fait des petites significations. Elles ne sont pas forcément jolies jolies. Mais que le départ soit, comme tel, l'opposition du yin et du yang, du mâle et du femelle, même s'ils ne savaient pas ce que ça veut dire, ceci à soi tout seul comporte à la fois ce singulier mirage qu'il y a là quelque chose de plus adéquat à je ne sais quel fonds radical, en même temps d'ailleurs que cela peut justifier l'échec total de tout aboutissement du côté d'un véritable savoir. Et c'est pourquoi ce serait une grande erreur de croire qu'il y ait la moindre chose à attendre de l'exploration freudienne de l'inconscient pour en quelque sorte rejoindre, faire écho, corroborer ce qu'ont produit ces traditions, qualifions-les, étiquetons-les - je déteste le terme - d'orientales, de quelque chose qui n'est pas de la tradition qui a élaboré la fonction du sujet. Le méconnaître est prêter à toutes sortes de confusions, et si quelque chose de notre part peut jamais être gagné dans le sens d'une intégration authentique de ce qui, pour les psychanalystes, doit être le savoir, assurément c'est dans une toute autre direction.



15/12/1965   

L'objet de la psychanalyse


    Jiun Sonja (1), comme un de mes fidèles amis qui est ici aujourd'hui a eu la bonté de me l'apprendre, Jiun Sonia a vécu de 1714 à 1804. Entré dans les ordres - si j'ose dire - bouddhistes à 15 ans, vous voyez qu'il y est resté jusqu'à un âge avancé. Son oeuvre est considérable et je ne vous dirai pas les fondations originales qui portent encore sa marque. Vous donner une idée par exemple de son activité, sera vous évoquer par exemple qu'un manuel d'étude sanscrite actuellement considéré comme fondamental est de sa source, sinon tout entier de sa main et qu'il n'a pas moins de mille volumes. C'est dire que ce n'était pas un homme fainéant.

    Mais ce que vous voyez ici est typiquement la trace de ce quelque chose qui, dirais-je, se fait en quelque point sommet d'une méditation et n'est pas sans rapport au moins de semblance avec ce qui s'obtient de certains de ces exercices ou plutôt de ces rencontres qui s'échelonnent sur le chemin de ce qu'on appelle le Zen j'aurai scrupule à avancer ce nom même ici, à savoir devant un auditoire dont une partie est pour moi trop peu sûre quant à la façon dont je peux être entendu pour avancer sans aucune précaution une référence à quelque chose qui n'est certes pas un secret, qui traîne les rues et dont on entend parler partout. Le Zen ne représente pas quelque chose qui peut aller jusqu'à l'abus de confiance, à vrai dire, je ne saurais trop vous conseiller de vous méfier de toutes les sottises qui s'empilent sous ce registre, mais après tout pas plus que sur la psychanalyse elle-même.

                                                               

[ Soit en simplifié et en pinyin :

       几     三            jī            sān
       人     千           
rén         qiān
       知     年           
zhī         nián
               代               
       dài ]


    Je suis forcé tout de même de dire que ceci tracé d'un coup de pinceau dont, sans doute, il n'est pas sûr que nous puissions apprécier la vigueur particulière qui est pourtant, pour un oeil exercé, assez frappante, ce coup de pinceau, c'est lui qui va m'importer, c'est sur lui que je vais fixer votre attention pour supporter ce que j'ai aujourd'hui à avancer dans le chemin que nous avons à faire. Il n'est pas douteux qu'il est là dans la position propre qui est celle que je définis pour être celle du signifiant : qu'il représente le sujet pour un autre signifiant. Ceci est assez assuré par le contenu de l'écriture qui, ici, s'aligne et se lit comme écriture chinoise qu'elle est, ceci est écrit en caractère chinois; je vous  le prononcerai, non pas en chinois mais en japonais, ce qui veut dire :

« Dans trois mille ans, combien d'hommes sauront ? »


    Sauront quoi ? Sauront qui a fait ce cercle. Quel était cet homme dont j'ai cru devoir d'abord vous indiquer l'empan entre le plus extrême, le plus pyramidal de la science et un mode d'exercice dont nous ne pouvons pas ne pas tenir compte ici comme fond de ce qu'il nous laisse ici d'écrit.

                                                               
   

[ Soit en simplifié et en pinyin :

       人     三            rén         sān
       知     千           
zhī         qiān
       也     年           
yě          nián
               前               
       qián ]


    « Dans trois mille ans, combien d'hommes sauront » ce qu'il y a au niveau de ce cercle tracé ? Je me suis permis, dans ma propre calligraphie, de répondre :

« Dans trois mille ans, bien avant, les hommes sauront »


«Bien avant trois mille ans, et après tout, ça peut commencer aujourd'hui, les hommes sauront, ils se souviendront peut-être que le sens de cette trace mérite de s'inscrire ainsi ».

    Malgré la différence apparente, c'est topologiquement la même chose. Supposez que ceci soit rond, que ce que j'ai appelé cercle soit un disque. Ce qu'ici, j'ai tracé de ma main, est aussi un disque bien que sous la forme de deux lobes dont l'un recouvre l'autre, la surface est d'un seul tenant, elle est limitée par un bord qui, par déformation continue peut se développer de façon à ce que l'un des bords recouvre l'autre, l'homéomorphie topologique est évidente. Que signifie alors que je l'ai tracé d'une façon différente et que ce soit là-dessus que j'aie maintenant à attirer votre attention ?

    Un tracé que j'ai appelé un cercle et non pas un disque laisse en suspens la question de ce qu'il limite. Pour voir les choses là où elles sont tracées sur un plan, ce qu'il limite, c'est peut-être ce qui était dedans, c'est peut-être aussi ce qui est au dehors.

A la vérité, c'est là qu'il nous faut considérer ce qu'il peut y avoir d'originel dans la fonction de l'écrit. Quittons un instant ce que nous avons ici sous les yeux et que je propose plutôt assurément à un experimentum mentis, à un exercice de l'esprit qu'à une adhésion intuitive. Car si je vous emmène dans le champ de la topologie, c'est pour vous introduire à une sorte d'assouplissement (mentis), une sorte d'exercice mental concernant des figures qui ne sont pas sans doute sans pouvoir être appréhendées de quelque façon intuitive mais dont il vous suffira d'essayer, au moins pour ce qui est des moins prévenus, de me suivre pour, disons, percevoir les effets que j'essaierai de vous y démontrer par le tracé de certaines coupures.




(1) Lacan évoque très probablement ici un moine japonais de la secte Shingon (littéralement La parole vraie), nommé communément Jiun Sonia (litt : le vénérable Jiun), et Onkô de son nom posthume, qui vécut de 1715 (ou 1718, date incertaine) à 1804, fonda son propre courant dans l'école Shingon, et consacra une importante partie de sa vie à l'étude du sanscrit. Parmi ses Oeuvres sont particulièrement célèbres mille volumes intitulés Règles de l'étude du sanscrit. Jiun n'était pas un moine zen, mais il avait étudié la méditation auprès d'un maître. Il avait étudié les principales doctrines du bouddhisme. Le texte que cite Lacan (dont la présente version est assez probable) est écrit en chinois, ce qui n'est pas étonnant de la part d'un moine qui devait lire les sûtra dans leur traduction chinoise. Enfin les représentations d'un cercle à l'encre noire accompagnées d'un poème ou d'un commentaire étaient fréquentes dans la tradition bouddhiste chinoise et japonaise. Nous remercions M. Pierre Nakimovitch, Docteur en études extrême-orientales, agrégé de philosophie et spécialiste de Dôgen, pour les précisions qu'il a bien voulu nous apporter concernant Jiun ainsi que le texte cité par Lacan.



15/12/1965

L'objet de la psychanalyse


    Pour revenir à nos Chinois, vous savez, je ne sais pas si c'est vrai mais c'est édifiant, qu'on n'y met jamais à la poubelle un papier sur lequel a été tracé un caractère. Des gens pieux, vieillards dit-on, parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire, les collectent pour les brûler sur un petit autel ad hoc.



5/01/1966

L'objet de la psychanalyse


    Le miroir ne se définit, n'existe que de cette surface qui divise pour le redoubler dans un espace à trois dimensions, espace que nous tenons pour réel et qui l'est sans doute. je n'ai pas ici à le contester. je me déplace comme vous et n'ai pas le moindre petit pied à l'étrier du voyage taoïste, chevauchant quelque dragon à travers le monde. Mais justement. Qu'est-ce à dire? Sinon que l'image spéculaire n'aurait pas cette valeur d'erreur et de méconnaissance, si déjà, une symétrie qu'on appelle bilatérale, par un plan sagittal ne caractérisait en tout cas l'être qui est intéressé. On a une droite et une gauche qui ne sont évidemment pas semblables mais qui font office de semblables, en gros deux oreilles, deux yeux, une mèche sans doute de travers mais en tout cas, on peut faire la raie au milieu. On a deux jambes, on a des organes par paires pour un grand nombre d'entre eux, pas tous, et quand on y regarde de plus près, à savoir quand on ouvre, à l'intérieur, c'est un tant soit peu tordu, mais ça ne se voit pas au dehors. L'homme, tout comme une libellule, a l'air symétrique. C'est à un accident de cette espèce, accident d'apparence comme disent les philosophes que quelque chose est dû tout d'abord à cette capture dite du stade du miroir.

    […]

    C'est qu'une surface qui est ici dessinée, qu'il vous est facile de reconnaître même si ça vous semble - puisqu'on peut l'appeler un disque - troué voir quelque chose comme un jade chinois, vous pouvez voir qu'elle est exactement équivalente ici à ce qu'on appelle un cylindre.



30/05/1966

L'objet de la psychanalyse


    Quelque chose nous le confirme, c'est à savoir ceci : un tore, c'est fait de la couture des deux bords des deux trous qui constituent les limites d'un cylindre ou d'un jade troué, comme vous voudrez. Car ce n'est pas pour rien que quelque chose comme les jades troués ça se fait depuis longtemps. Bien sûr, nous ne savons plus ce que ça veut dire mais il est assez probable que ceux qui se sont donnés assez de mal à l'origine pour les faire savaient que ça pouvait servir à quelque chose. Il n'y a pas tellement que ça de formes trouées naturelles et ce n'est pas pour rien que la gravure chinoise manifeste nettement dans toutes ses propositions et ses associations que ces formes de pierre trouée, qu'elle nous montre avec surabondance, sont toujours liées à des thèmes érotiques.



8/06/1966

L'objet de la psychanalyse


    Le premier, l'Imaginaire, et que j'écris comme ça d'une petite orthographe chinoise ce que nous disons tous, quand quoi? Quand dans un champ nous trouvons le vide. Et si vous croyez que c'est facile à expliquer ça, cette notion de champ et de vide! Bien sûr, le registre gestaltiste s'offre tout de suite, seulement la rapidité avec laquelle il se contamine vers une version symbolique dans la notion de classe, par exemple, qui prend justement de sa présence toute sa densité, doit nous rendre extrêmement prudent quant au maniement. Quoiqu'il en soit l'écrire de cette orthographe baroque, qui est celle dont je ne fais rien qu'une occasion de le mémoriser comme instrument transitoire, j'ai appelé cela : le «hiarien », écrit comme vous le voyez là. Il y a une chose qui est en tout cas bien tranchée et qui n'a rien à faire avec le « hiarien », c'est celui que j'exprime dans...



25/01/1967

La logique du fantasme


    Suivons Freud : rêver qu’on rêve doit être l’objet d’une fonction bien sûr pour que nous puissions dire qu’à tous les coups ceci désigne l’approche imminente de la réalité.

         Que quelque chose puisse s’apercevoir qu’il se rambarde d’une fonction d’erreur pour ne pas repérer la réalité, est-ce que nous ne voyons pas qu’il y a là une voie exactement contraire que l’assertion de ceci : qu’une idée est transparente à e11e-même, 1a trace de quelque chose qui mérite d’être suivis ; pour (p107->)  vous faire sentir comment l’entendre, il me semble que je ne peux pas mieux faire que d’aller grâce au chemin que m’ouvre une fable bien connue, d’être tirée d’un vieux texte chinois : de Tchouang-Tsou [cf. Zhuangzi], dieu sait ce qu’on lui fait dire, nommément à propos de ce rêve bien connu, de ce qu’il aurait dit à propos d’avoir rêvé de s’être rêvé lui-même être un papillon. Il aurait interrogé ses disciples sur 1e sujet de savoir comment on peut distinguer Tchouang-Tsou se rêvant papillon, papillon qui tout réveillé qu’il se croit ne ferait que rêver d’être autre chose. Inutile de dire que ceci n’a absolument pas le sens qu’on donne d’habitude dans le texte de Tchouan-Tsou, les phrases qui suivent montrent assez de quoi il s’agit, et ça nous porte sur le thème de la formation des êtres et de voies qui nous échappent depuis longtemps dans une très grande mesure, je veux dire quant à ce qu’il en était exactement pensé par ceux qui en ont laissé les traces écrites.

          Ce rêve, je veux me permettre de supposer qu’il a été inexactement rapporté. Tchouang-Tsou, quand il s’est rêvé papillon, s’est dit :  ce n’est qu’un rêve, ce qui est tout à fait conforme à sa mentalité, il ne doute pas un instant de surmonter ce menu problème de son identité qu’à être Tchouang Tsou. Il se dit : ce n’est qu’un rêve, et c’est précisément en quoi il manque la réalité, car en tant que quelque chose qui est le je de Tchouang Tsou repose dans ceci qui est si essentiel à toute condition du sujet : à savoir que l’objet est vu, il n’est rien qui nous permette de mieux surmonter ce qu’a de traître ce monde de la fiction, en tant qu’il supporterait cette sorte de rassemblement de quelque façon que nous l’appelions : monde ou étendue dont le sujet serait seul support et le seul mode d’existence. Ce qui fait la consistance de ce sujet en tant qu’il voit, c’est-à-dire, en tant qu’il n’a que la géométrie de la vision, en tant qu’il peut dire ceci à l’Autre : ceci est à droite, ceci est à gauche, ceci est en dedans ou en dehors, qu’est-ce qui lui permet de se situer comme je, sinon ceci que j’ai déjà souligné qu’il est tableau dans ce monde visible, que le papillon n’est rien d’autre que  ce qui le désigne lui-même comme tache, et comme ce qu’a d’originelle la tache dans le surgissement au niveau de l’organisme de quelque chose qui fera vision.  C’est bien en tant que le je lui-même est tache sur fond,  que ce dont il va interroger ce qu’il voit et ce qu’il ne peut retrouver et qui se dérobe, cette origine de regard, manifeste à être articulée pour nous que la lumière du soleil pour inaugurer ce qui est de l’ordre du je dans la relation scoptophylique, est-ce que ce n’est pas là, le “ je rêve seulement “ et ce qui masque la réalité du regard en tant qu’elle est à découvrir.

           C’est en ce point que je voulais vous amener aujourd’hui concernant ce rappel de la fonction de l’objet “ a ” et sa corrélation étroite au je. Pourtant, n’est-il pas vrai que quelque soit le lien que supporte, qu’indique comme l’encadrant 1e jeu de tous les fantasmes, nous ne pouvons pas encore saisir dans une multiplicité au reste de ces objets “ a ” ce qui lui donne ce privilège dans le statut du je en tant qu’il se pose comme désir.



26/04/1967

La logique du fantasme


    Pour confronter le «a » avec l'unité ce qui est seulement instituer la fonction de la mesure, eh bien cette unité il faut commencer par l'écrire. C'est cette fonction que depuis longtemps j'ai introduite sous le terme du trait unaire. Unaire, ai-je dit, alors, où l'écrit-on ce trait unaire essentiel à opérer pour la mesure de l'objet " a " au regard du sexe. Sûrement pas sur le dos de l'objet, puisqu'aucun objet " a " n'a de dos. C'est à ceci, que sert je pense que vous le savez depuis toujours, ce que j'ai appelé le lieu de l'autre en tant qu'il est ici représenté comme appelé par toute cette démarche logique. C'est-à-dire le lieu de l'Autre d'abord en tant que comme tel, il introduit le redoublement du champ de l'un, c'est-à-dire encore, que nous avons là rien d'autre à proprement parler que la figuration de ce que j'ai articulé comme la répétition originelle, comme ce qui fait que l'Un premier, ce 1 cher aux philosophes, qui pourtant à leur manipulation oppose quelque difficulté, que ce 1 ne surgit en quelque sorte que rétro-actif à partir du moment où s'introduit comme signifiant, une répétition. Ce trait unaire, si je me souviens des cris désespérés d'un de mes auditeurs, quand j'ai simplement ramassé dans un (p237->) texte de Freud l'einziger zug, qui avait passé inaperçu pour ce charmant interlocuteur qui aurait bien aimé en faire la trouvaille lui-même. Ne croyez pas pourtant qu'il n'existe que là, Freud n'a pas découvert le trait unaire, je vais parler tout à l'heure des grecs.

    Mais pour rester dans l'actualité je vais ouvrir le dernier numéro de la revue : «Art asiatique» vous verrez une peinture de Shitao qui, dans ce trait unaire; en fait grand état, il ne parle que de ça pendant un petit nombre de pages. ça s'appelle en chinois yi qui veut dire 1 ou qui veut dire : trait.

    C'est le trait unaire. Il a beaucoup fonctionné avant que je vous en rebatte les oreilles. L'important dans ceci est de reconnaître ici dans ces fonctions essentielles qui nécessitent comme s'opposant comme en miroir, le champ de l'Autre à ce champ de l'Un énigmatique à proprement parler ce qui est figuré depuis longtemps dans mon graphe par la connotation signifiante de . Ce qui permet aussi, dans cet article que j'ai intitulé remarque et qui donne la formule de ce qu'on appelle dans la psychanalyse et dans les textes freudiens l'une des formes de l'identification, l'identification à l'idéal du moi dont j'ai passé précisément le trait dans l'Autre comme indiquant au niveau de l'autre cette référence en miroir d'où part précisément pour le sujet, la veine de tout ce qui est identification, c'est-à-dire ce qui est spécialement dans le champ dont nous , parlons aujourd'hui, de la dyade, à distinguer comme se situant et se situant comme distinct des deux autres fonctions qui sont respectivement celles de la répétition, l'identification en la mettant au milieu et enfin la relation, je vous ai dit la dernière fois ce qu'il fallait en penser concernant quoique ce soit qui puisse s'autoriser de la dyade sexuelle.


    […] Je ne voudrais y opposer que les mystiques... pour autant que ce sont ceux que nous pouvons définir comme s'étant avancés, à leurs dépens, de petit a vers cet Etre qui, lui, n'a rien fait que de s'annoncer comme imprononçable - imprononçable quant à son nom - par rien d'autre que par ces lettres énigmatiques qui reproduisent (le sait-on ?) la forme générale du je suis, non pas: celui qui suis, ni celui qui est, mais. ce que je sais. C'est-à-dire chercher toujours! vous voyez là rien qui spécifie tellement - encore qu'il mérite d'être spécifié à un autre niveau pour la référence qu'on en fait au père - le Dieu des Juifs ; car à la vérité, le Tao s'énonce, comme vous le savez, de notre temps où le Zen court les rues, vous avez bien dû récolter dans un coin que le Tao qui peut se nommer n'est pas le vrai Tao. Enfin, nous ne sommes pas là pour nous gargariser avec ces vieilles plaisanteries.



21/02/1968

L'acte psychanalytique


C'est ainsi qu'il est étrange qu'au niveau de l'Église, où ils ne sont pas tellement cons quand même, ils doivent s'apercevoir que là Freud dit la même chose que ce qu'ils sont présumés savoir être la vérité, ce qui force, justement qu'ils l'enseignent. Il y a quelque chose qui cloche du côté sexe; sans ça à quoi bon ce réseau technique abrutissant? Eh bien, pas du tout. Leur préférence dans ce coin là va bien plutôt à Jung, dont il est clair que sa position est exactement opposée, à savoir que nous entrons dans la sphère de la Gnose, à savoir de l'obligatoire complémentaire du Yin et du Yang, et de tous les signes que vous voyez tourner l'un autour de l'autre, comme si, depuis toujours, ils étaient là pour se conjoindre, animus et anima, l'essence complète du mâle et de la femelle.



14/05/1969

D'Un Autre à l'autre


Assurément l'accent à mettre sur l'écriture est capital pour la juste évaluation de ce qu'il en est du langage, et que l'écriture soit première et doive être considérée comme telle au regard de ce qui est la parole, c'est ce qui après tout peut être considéré comme non seulement licite mais rendu évident par la seule existence d'une écriture comme la chinoise où il est clair que ce qui est de l'ordre de l'appréhension du regard n'est pas sans rapport à ce qui s'en traduit au niveau de la voix, à savoir qu'il y a des éléments phonétiques, mais qu'il y en a aussi beaucoup qui ne le sont pas, ceci étant d'autant plus frappant que, du point de vue de la structure, de la structure stricte de ce qu'il en est d'un langage, nulle langue ne se tient d'une façon plus pure que cette langue chinoise où chaque élément morphologique se réduit à un phonème. C'est donc bien là où ç'aurait été le plus simple, si l'on peut dire, que l'écriture ne soit que transcription de ce qui s'énonce en paroles, qu'il est frappant de voir que, tout au contraire, l'écriture, loin d'être transcription, est un autre système, un système auquel éventuellement s'accroche ce qui est découpé dans un autre support, celui de la voix.

 

1965 - 1969


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à ce sujet, voir le texte du

Dao De Jing

à ce sujet, voir le texte du

Zhuangzi

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