La « première séance »


Deux auteurs mirent en circulation éditoriale deux versions d’une première séance qui semblerait concerner la psychanalyse de Huo Datong.

N’ayant pu obtenir la possibilité d’organiser une « disputatio » respectueuse autour d’un dissensus (dans la mesure où je conteste ces deux versions), j’avais pris le chemin d’un traitement ironique de ce discord dans le cadre de mon séminaire (voir par ici).

L’opportunité m’est offerte de produire la version du principal intéressé, grâce à la bienveillance de Jacqueline Sudaka-Bénazéraf et grâce à Huo Datong qui m’a donné son accord.


Tout d’abord la version de Philippe Porret :


Première séance

L'entretien débute. Guibal salue le visiteur par quelques mots en chinois approximatif, Datong répond d'une voix hésitante ; faute de langue maternelle, chaque mot équivaut à un saut. Il se risque à une présentation sommaire, guettant aide ou soutien de son interlocuteur. L'analyste manifeste son attention, mais ne dit mot. Dans cet espace de silences gênés, de mots hésitants, le corps est mis à contribution pour suppléer le dire : mime, boulier, écritoire pour calligraphier d'un doigt agile sur la paume, un caractère chinois, une expression, un chiffre et lui trouver un équivalent sémantique… La séance se termine sur cet inconfortable rapport où les résistances de chaque langue à la traduction, les interventions qui ne répondent pas directement aux questions, désarçonnent le Chinois ; mais il est soulagé par cette première rencontre, pressentant dans cet étonnant dispositif une énigme féconde, une mise à l'épreuve de la parole qui n'est pas pour lui déplaire. Est-il tombé sur un maître zen, un laïque plus taoïste qu'il n'y paraît, un praticien moins tenté par les brillances du monde que par la sobre rigueur de la psychanalyse ?

Cette première séance, dont nous avons le récit par Michel Guibal, est évoquée autrement par Huo Datong.


Philippe Porret, La Chine de la psychanalyse,

éd. Campagne Première, Paris, 2008.


Il est bien regrettable que Philippe Porret ne donne pas dans son livre, cette évocation dite par Huo Datong.


La version de Huo Datong

Nous allons donc réparer cette omission, en donnant la version de Huo Datong telle qu’elle se trouve enregistrée, en audio et vidéo, lors d’une interview que Jacqueline Sudaka-Bénazéraf a réalisée pendant le colloque qui s’est tenu à Chengdu au mois d’avril 2010 (avec l’autorisation de Jacqueline Sudaka-Bénazéraf et de Huo Datong).


Huo Datong — Mon ami Dai Sijie, finalement un jour il vient chez moi, donc Il m’a donné le numéro de téléphone de Michel Guibal.

J. Sudaka-Bénazéraf — Est-ce que ce n’était pas une chose redoutable d’aller chez un psychanalyste qui parle français et ne comprend pas le chinois et toi qui parle chinois et ne comprend pas le français ? Comment est-ce que la rencontre a pu se produire ?

H. D. — Le téléphone, c’est moi et Dai Sijie, et on téléphone ensemble à Michel Guibal. Il m’a donné un rendez-vous. Mais donc je lui ai demandé, j’ai dit est-ce que je peux venir avec mon ami pour me traduire. Il dit : « non tu viendras tout seul ».

Et puis après quelques séances, donc, j’ai dit : « est-ce que je peux apporter un dictionnaire ? ». Il dit « Non, si tu veux apprendre, il m’a dit, si tu veux apprendre le français donc, tu descends dans la rue pour apprendre. Ici, donc ce n’est pas le lieu où tu apprends le français, voilà ».

J. S.-B. — Donc vous avez parlé chinois ?

H. D. — J’ai parlé français.

J. S.-B. — Très vite alors ?

H. D. — La première rencontre, dans la première rencontre j’ai déjà parlé du français beaucoup, vraiment c’est très mauvais,

Ça n’avait pas d’importance, déjà le cours de la psychanalyse est déjà commencé pour moi. Aussi c’est pas important parce que quand même maintenant je peux parler, voilà je peux parler ce qu’il m’arrive, j’ai tellement besoin.




La version d’Éric Porge

Voici la « même » première séance écrite par Éric Porge dans une recension (!!) du livre de Philippe Porret .

Il ne s’agit bien évidemment pas d’une recension puisque ce récit diffère fondamentalement de la version de Philippe Porret.


Huo Datong, qui a 32 ans, commence une analyse à Paris avec Michel Guibal. Il ne parle pas le français et propose de faire l’analyse en anglais. L’analyste refuse cette solution et propose à Huo Datong qu’il s’exprime en chinois, langue que lui-même ne comprend pas. L’analyse commence donc sans que ni l’un ni l’autre ne comprenne la langue de l'autre.

(in revue Essaim n° 22, C’est à quel sujet ?, éd. Érès, 2009, p. 119)



Il est de notoriété publique que Huo Datong ne parle pas l’anglais.


En espérant que cette mise au point évitera que d’autres se livrent à de telles élucubrations dont la finalité dépasse l’entendement.

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Séminaire de Michel Guibal

2010 - 2011


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