Exposé présenté au colloque « Les modes de l’identification Clinique et théorie »

qui a eu lieu aux 4 et 5 octobre 2008

organisé par Dimensions de la psychanalyse



se compose de deux parties : et yáng. est le moi ; yáng signifie « le beau » ( měi, ou bien « bon » shàn) 1. On peut voir clairement que (Fig. 1) yáng est l’élément qui se retrouve dans ces différents caractères chinois :


Fig. 1

La signification littérale du est « le moi qui est beau, bon, ou le moi est très bien ». C’est-à-dire que « le moi a un air digne et imposant », car en Chine, je crois en France aussi, c’est toujours mieux d’avoir un air digne et imposant. Cette signification est à l’origine du . Dans le Shuowenjiezi 說文解字 qui fut le dictionnaire de la dynastie de Han (BC202 - AD220), le fut expliqué ainsi : « le moi a un air digne et imposant » et « le se compose de et de yáng » (Fig. 2) 2.


Fig. 2

Mais, après le Shuowenjiezi, dans beaucoup des textes anciens chinois et ce jusqu’à nos jours, désigne ne désigne pas « le moi a un air digne et imposant ». Il a d’autres sens, parmi lesquels, deux qui sont très importants :

- justice, droiture

- sens, signification.3


Dans les textes chinois, il y a un autre caractère, , qui signifie encore aujourd’hui « avoir l’air, une prestance ».

Pourquoi ? Un spécialiste de l’écriture chinoise explique qu’au début, dans les textes anciens (peut-être jusqu’à la dynastie de Han), désignait vraiment le sens « avoir un air digne et imposant ». Mais depuis, désigne la même chose. Donc, fut progressivement remplacé par le dans la transcription des textes anciens 4.

En effet, selon la théorie de l’écriture chinoise, au début, a une seule signification « le moi qui est beau, bon, bien et idéal ». Petit à petit, il signifie au moins deux significations :

1. « le moi qui est beau, bon, est très bien et idéal », ou bien « le moi qui a un air digne et imposant »

2. quelque chose des idéaux, des biens. en particulier moraux, et abstraits, par exemple, « la justice », ou bien « la droiture ».

Pour distinguer ces deux sens, cet autre caractère, , a été utilisé pour signifier le premier sens de  alors que reste attribué au deuxième sens. On peut voir clairement que le dérive du premier (Fig. 3).


Fig. 3

Pourquoi le garde cette deuxième signification qui est sur le versant de l’idéal ? Deux concepts de la psychanalyse peuvent nous aider à répondre à cette question. Un couple de concepts, le Moi idéal et l’Idéal du moi, est introduit par Freud en 1914 dans le texte Pour introduire le narcissisme.

Pour Freud, le Moi idéal désigne comme « idéal de toute-puissance narcissique 5 » le moi réel qui aurait été l’objet des premières satisfactions narcissiques 6. Est-ce que ce n’est pas le moi qui est beau, bon, et très bien ? Est-ce que ce n’est pas la signification du  ? On peut considérer le Moi idéal comme le .

L’Idéal du moi est comme un substitut du Moi idéal. Citons différents dictionnaires de la psychanalyse :

Sous l’influence des critiques parentales et du milieu extérieur, les premières satisfactions narcissiques sont progressivement abandonnées et c’est sous forme de ce nouvel idéal du moi que le sujet cherche à les reconquérir.7

Mais aussi :

L’idéal du moi produit de l’identification aux figures parentales et à leur relais sociaux 8.

Freud continua de parler de l’Idéal du moi dans l’Introduction à la psychanalyse (1917), Psychologie des masses et analyse du moi (1921), Le Moi et le ça (1923), les Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse (1933).

L’Idéal du moi devient une instance confondue avec le surmoi en raison de ses fonctions de la « conscience morale », de la censure (onirique) des rêves, de l’auto-observation, etc. 9

Est-ce que ce n’est pas quelque chose comme la moral et l’information d’idéaux ? Donc, nous pouvons comprendre que le correspond à l’Idéal du moi.


Mais, il y a un problème. a aussi d’autres significations, parmi lesquelles, la signification de « règle » ou « loi », est très importante 10. Donc, si le a le sens de la loi, il peut aussi être considérer comme étant l’Idéal du moi. Conjointement, le a le sens de « ce qui est idéal, bien », et signifie donc aussi que quelqu’un est bien et idéal. Le est donc aussi assimilable au Moi idéal. Donc sur le plan de la signification, la distinction entre les deux n’est pas absolue. Il y a quelques ressemblances de sens entre le et le .

Peut-être, est-ce pour cette même raison que certains auteurs après Freud soutiennent qu’il n'y a pas de « distinction conceptuelle entre Idealich (moi idéal) et lchideal (idéal du moi). 11 »


Néanmoins, Lacan soutient que Freud désigne bien deux fonctions différentes à propos du Moi idéal et de l’Idéal du moi.

Citons encore Le vocabulaire de la psychanalyse :

Pour Lacan, Dans Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je (1949), le Moi idéal représente les premières ébauches narcissiques investies libidinalement et constituées par l’image du corps propre dans le miroir. Cette image est le support de l’identification primaire de l’enfant à son semblable et constitue le point inaugural de l’aliénation du sujet dans la capture imaginaire et sera la souche des identifications secondaires où le « je » s’objective dans son rapport à la culture et au langage par la médiation de l’autre 12.

Autrement dit, Il représente les premières ébauches narcissiques investies libidinalement et constituées par l’image du corps propre dans le miroir puis par le semblable avec les effets de capture qui en seront la conséquence.

L’Idéal du moi désigne cette instance de la personnalité dont la fonction sur le plan symbolique est de réguler la structure imaginaire du moi, les identifications et les conflits qui régissent ses rapports à ses semblables 13.

Lacan écrit :

L’ich-Ideal, l’idéal du moi, en tant qu’il a avec le moi une relation symbolique, sublimée, qui dans notre maniement dynamique est à la fois semblable et différent de la libido imaginaire. 14

Lacan souligne deux choses entre le Moi idéal et l’Idéal du moi :

- un lien « semblable », à cause de ça, il y a certains auteurs qui pensent qu’on ne trouve pas de distinction entre eux ;

- un « différent » : Lacan distingue le Moi idéal qui appartient à l’Imaginaire, de l’Idéal du moi qui appartient au Symbolique. 15

On peut revoir les deux caractères chinois : et . Qu’est-ce qui les distingue ? Sur le plan de la signification, il y a quelques distinctions que nous avons déjà discuté, mais qu’ils ne sont pas très absolues. Sur le plan de la prononciation, c’est le même [yi]. Mais, il y a une différence d’écriture de part la clé « 亻 » qui est le corps (Fig. 4). Cette clé, le corps, est ce qui différencie et .


Fig. 4

On peut considérer aussi la signification de ces deux caractères chinois :

- Le a la signification de « règle », cette règle portant sur des choses qui concernent le corps concret, celui qu’on peut voir, par exemple : 儀式la cérémonie), 儀錶 (un instrument comme la montre), 地震儀 (le sismographe).

- Alors que le fait référence à des idéaux, à des éléments très abstraits, à des choses invisibles dans la réalité, comme par exemple, la valeur morale.

Ce que mettent en avant ces deux caractères chinois, c’est que ce qui distingue le Moi idéal et l’Idéal du moi, n’est autre chose que le corps.

Pour Freud, il donne à l’Idéal du moi une place de premier plan dans Psychologie des masses et analyse du moi (1921). Un objet extérieur — par exemple le chef, mais aussi l’hypnotiseur ou l’aimé — vient occuper la place de l’Idéal du moi 16. Cependant, après Freud, Daniel Lagache précise :

Le Moi Idéal est encore révélé par des admirations passionnées pour de grands personnages de l’histoire ou de la vie contemporaine, que caractérise leur indépendance, leur orgueil, leur ascendant. 17

En quoi se fait la distinction ? Il sera question de l’Idéal du moi ou bien du Moi idéal selon la part du chef ou du grand personnage à laquelle on s’identifie.

- Si on s’identifie à une partie du corps du chef, comme par exemple sa moustache, son habillement, sa maniére de parler ; ce n’est pas l’Idéal du moi mais le Moi idéal.

- Si on s’identifie à une partie du chef (bien sûr l’aimé aussi) qui n’est pas son corps, telle sa vertu ou sa pensée, ce ne s’agira pas du Moi idéal mais de l’Idéal du moi.



Yan Helai 和来 à Deyang 10-2008

yanfr@vip.163.com

 

et

pour comprendre Idéal du moi et Moi idéal


Yan Helai






1 汉许慎,清段玉裁,《说文解字注》:“从羊者,与善美同意”。浙江古籍出版社,杭州,p. 633.









2 汉许慎,清段玉裁,《说文解字注》:“已之威义也。从我从羊。” 浙江古籍出版社,杭州p. 633.


















3《汉法词典》商务印书馆,1995年,北京,p. 839-840.

汉许慎,清段玉裁,《说文解字注》:“古者威仪字作义,今仁义字用之  古者书仪但为义”。浙江古籍出版社,杭州p. 633.




4 [汉]许慎,[清]段玉裁,《说文解字注》:“古者威仪字作义,今仁义字用之    古者书仪但为义”。浙江古籍出版社,杭州,p. 633.



















5 Laplanche J. et Pontalis J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, P.U.F., Paris, 1967. p. 255.


6 Chemama R. (sous la direction de), Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, Paris 1995, p. 197.







7 Ibid, p. 133.



8 Roudinesco E. et Plon M., Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, Paris, 1997. p. 475.



9 Chemama R. (sous la direction de), Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, Paris1995, p. 133.

ou Roudinesco E. et Plon M., Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, Paris, 1997. p. 476-477.


10 [汉]许慎,[清]段玉裁,《说文解字注》:“仪,度也”。浙江古籍出版社,杭州,p. 375.


11 Laplanche J. et Pontalis J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, P.U.F., Paris, 1967. p. 255.






12 Chemama R. (sous la direction de), Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, Paris 1995, p. 197.



13 Ibid., p. 133.


14 La comparaison est introduite par Lacan en 1960 dans sa « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : psychanalyse et structure de la personnalité », Écrits, Seuil, Paris, PUF, 1967.


15 Vanier A., Lexique de psychanalyse, Armand Colin/VUEF, Paris, 2003, p. 40.
















16 Freud S., Psychologie des masses et analyse du moi, (1921), GW, XIII p. 73-161.


17 Lagache D., « La psychanalyse et la structure de la personnalité », (1958), La Psychanalyse, P.U.F., Paris, VI. p. 41.





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