C’était le quatrième jour où je suis rentrée à Paris. Un ami m’a appelé. « Ça va ? La Borde te manque ? » J’ai répondu modestement : « Oui, un peu ». Il a affirmé : « La Borde est attachante ». J’avais pensé à écrire quelque chose sur mon stage à La Borde en réfléchissant après-coup, mais je n’avais pas prétendu débuter par un paragraphe sentimental.


Il y a un tas de petits mots laissés par les anciens stagiaires dans les cahiers poussiéreux au local stagiaire à La Borde. Il y a un tas de livres au sujet de La Borde qui sont publiés continuellement. J’étais aussi touchée que lorsque j’étais sur place, sans jugement préalable.


C’était une vraie rencontre, rencontre au sens de quoi a parlé Jean Oury citant la leçon de Lacan : « S’il y a vraiment rencontre, il y aura changement structural, du fait même de la rencontre » [2].


Le premier mois

Je suis arrivée à La Borde au début de janvier 2010, juste après les grandes fêtes de Noël et du Nouvel An. J’ai amené les questions que j’avais posées depuis ma visite de pré-stage en octobre 2009 : Comment fonctionne la psychothérapie institutionnelle ? Qu’est-ce qu’il y a dernière l’apparence si à l’inverse de ce qui se passe ailleurs ? Je me suis précipitée vers la recherche des réponses.

J’ai été introduite dans une grande chambre au deuxième étage de château, chambre en désordre avec quatre lits dispersés sans aucune distinction de l’espace intime. J’ai hésité entre les lits comme si rien ne pouvait se repérer. Je me suis assise sur un lit qu’une copine m’a indiqué à son gré en attendant des colocataires encore inconnus. Je me suis encouragée : C’est parti, la vie collective !

Le lendemain matin, je suis descendue à la cuisine au rez-de-chaussée avec une autre nouvelle stagiaire pour monter le petit-déjeuner d’une quinzaine stagiaire. « Celui qui se lève le plus tôt va chercher le petit-déjeuner ». C’était le conseil transmis par les anciens stagiaires, la veille. On a partagé spontanément les tâches au local stagiaire, mais le matin c’était toujours les nouveaux stagiaires inhabitués qui se réveillent de bonne heure.

Après le petit-déjeuner, je suis allée à la réunion de coordination médicale où se sont retrouvés ceux qui iraient travailler cette matinée-là : les moniteurs, les stagiaires, l’assistante sociale, la secrétaire médicale et la pharmacienne. J’étais toute perturbée par les mots innombrables et étrangers : pas seulement les noms de pensionnaires que je n’ai pas connus, mais aussi les termes spécifiques qu’on n’utilisait qu’à La Borde et les mots médicaux longs et compliqués.

Ensuite, je suis venue dans le secteur « Bois » où j’irai travailler. Architecturalement, ce n’est pas un pavillon indépendant mais lié au secteur « Extension » et à la pharmacie par des couloirs. J’avais l’impression d’entrer dans un petit labyrinthe et l’infirmerie de « Bois » était cachée derrière. En passant par l’infirmerie, j’étais guidée au salon de Bois par des voix et des bruits de verre et de pichet. Les patients et les moniteurs se retrouvent autour de la table tous les jours à cette heure-là, dit « L’Orange-accueil ». On s’est salué. On a bu un café ou un jus d’orange. Les patients ont pris leurs médicaments du matin. On a discuté autour d’un thème qui pouvait être lancé par n’importe qui. On lit le feuillet du jour dans lequelle on trouve le programme de toute la journée. Je me suis présentée comme j’aurai à le faire dans d’autres réunions : le Rail, la réunion du club, la réunion d’accueil… J’ai répondu aux questions puisque j’étais la deuxième personne qui venait de Chine débarquant à la Borde pour un stage.

Aux niveaux de la communication, j’étais surprise par le même statut des soignés et des soignants. Ce qu’ont dit les patients avait autant de valeur que les propos des moniteurs. Il semblait qu’il n’y avait pas de hiérarchie par l’uniforme ni l’exclusion par le préjugé de folie.

J’ai observé en imitant les gestes des moniteurs : débarrasser la table, ranger les boîtes de médicaments. Puis je ne savais plus quoi faire, parce que tout le monde a disparu tout à coup en se mettant au SAM, c’est-à-dire soin-animation-ménage. Quelqu’un m’a montré un cahier où étaient notés les avertissements de la journée. C’était encore le même problème que dans la réunion BCM : les noms, les termes, plus l’écriture manuelle. Quelqu’un m’a proposé de balayer le couloir pour croiser les gens et faire connaissance. Une dame âgée avec de grosses boucles d’oreilles s’est assise sur une chaise à l’extérieur de l’infirmerie. Elle m’a regardé travailler avec un grand sourire. Elle avait l’air accueillant et tentait de me parler. J’étais prête à l’écouter attentivement, mais à partir de son deuxième mot je n’ai rien compris. Elle a articulé mal. Je lui ai avoué honnêtement : « Je n’ai pas compris ». J’attendais la répétition, mais elle s’est arrêtée tout de suite et a tourné sa tête à gauche. Elle était mécontente, elle n’avait pas de patience, elle s’est ennuyée… Moi je me suis sentie embarrassée.

Un jour, une monitrice énergique est arrivée. Elle m’a dit : « Viens, je te montre comment faire ! » J’ai mis le tablier et les gants. Je l’ai suivie. Il y avait huit chambres aux Bois. On est entrées l’une après l’autre. Elle a frappé deux coups et elle a poussé la porte. En me distribuant des tâches, elle a passé le balai et la serpillière, nettoyé la table et les lavabos dans la salle de bain, enlevé les draps sales et mis rapidement les propres. Elle a bavardé avec les gens dans la chambre. Ils se connaissaient bien. Je n’étais pas aussi à l’aise dans mon rôle de « femme de ménage ». J’ai pensé à une phrase qu’un pensionnaire m’avait jetée ironiquement qu’il y avait quelques jours : « Tu fais bien le ménage!Tu vas le faire toute ta vie ? »



Le deuxième mois


SAM

À la réunion rituelle des stagiaires, on m’a interrogé : « Tu t’adaptes bien ? Avec quel pensionnaire tu as accroché ? » Ma réponse ne paraissait pas correspondre à la question : « Ce qui est pour moi important, c’est de trouver la distance correcte entre l’accrochage et l’éloignement. »

Cette indication m’a accompagnée tout au long de mon stage. Parce que la psychothérapie institutionnelle s’est incarnée dans la moindre des choses, dans la vie quotidienne, on avait un contact très délicat avec des patients.

Je n’ai plus reculé devant la porte de la chambre des pensionnaires au SAM. J’étais certaine d’avoir la permission d’entrer sans être perçue comme une intrusion. Je suis arrivée à inciter une ou deux personnes à changer avec moi un peu l’état de leur chambre. Au moment de passer la serpillière, l’un m’a parlé de son chat et l’origine de sa sculpture. L’autre bougeait tout le temps et tentait de sortir en disant « Je vais acheter du tabac, ce sera fermé ». Je l’ai stoppé. « Quelle heure il est ? — Dix heures trente ». Il a répondu distraitement après avoir regardé sa montre. « Il est dix heures trente. Le tabac ferme à onze heures trente. On a le temps de faire votre lit ». Il était d’accord et il m’a attendue pour ranger son lit avec moi.

Je n’ai plus supposé que ce genre de phrases — « Je vais à la caisse de dépôt », « Je suis fatigué » — était un prétexte de ne pas concentrer sur un travail. Parce qu’ils pouvaient vraiment être envahis, sans un choix subjectif. Comment les stabiliser un peu ? Comment disperser un peu la tension intense ? Cela dépend d’un travail permanent et multiple.

SAM, théoriquement, c’est l’aide à la toilette, l’entretien des chambres et des espaces communs avec les pensionnaires, l’acheminement du linge sale à la lingerie, le retour du linge propre… Mais on est là non pas pour le ménage, mais pour un accompagnement de construction minimum. Les détails de ménage sont un biais par quoi on accède au corps « sans peau » du patient psychotique. En même temps j’ai compris un peu l’utilisation populaire du mot « accrochage » : un petit accrochage aide à fixer des morceaux flottants et à tenir un peu l’espace possible qui est construit autour de l’accrochage. L’accrochage concret n’est pas le collage, mais un « point de capiton ».


17/23

Hors de SAM, j’ai fait aussi le « 17/23 ». La Borde a une centaine de places pour l’hospitalisation complète. Elles sont distribuées dans quatre secteurs sur cinq : le Château, le Parc, l’Extension et les Bois, et dont le cinquième le Rez-de-chaussée du Château est réservé à l’accueil général.

Le « 17/23 » est une période de travail de 17 heures à 23 heures où un moniteur est dans un secteur parfois avec un stagiaire qui veut travailler pendant ces heures-là. Avant de faire le « 17/23 » aux Bois, je me suis inscrite séparément dans d’autres secteurs pour connaître le fonctionnement, surtout l’ambiance de soirée qui était différente de celle de matinée. J’étais d’abord au Parc qui est le plus grand secteur avec un groupe de moniteurs bien équipé. Puis à l’Extension qui est voisine de Bois. Cela m’a aidé aussi à connaître les gens, par exemple les patients qui se sont enfermés dans leurs chambres et qui ont rarement quitté leurs secteurs. C’était un autre espace de rencontre.

À la fin du « 17/23 », c’était encore une réunion avec les moniteurs qui auraient à travailler la nuit. Il y a quatre réunions de coordination médicale chaque jour. Parce que 24 heures de chaque jour sont divisées à quatre étapes de travail : 9 h-13 h, 13 h-17 h, 17 h-23 h et la nuit. Entre les étapes, les réunions ont lieu respectivement à 9 h, à 12 h, à 16 h 30 et à 23 h pour la transmission. Par exemple, les personnes qui ont travaillé pendant la nuit se réunissent à 9 h avec celles qui vont travailler au SAM de 9 h à 13 h On parle ce qui se passe globalement pendant la nuit. On annonce les entrées, les sorties et les besoins d’accompagnement spécial. On indique les pensionnaires auxquels on devrait donner plus d’attention. On partage les options et on discute. Il y a autant d’échanges intra-secteur qu’entre les secteurs.


Ateliers

Il y avait vraiment une grande quantité d’ateliers de très bonne qualité, tant pour l’atelier permanent que pour l’atelier temporaire. Sept jours sur sept, du matin au soir, les ateliers de toutes sortes sont parsemés à tous les coins de La Borde : la salle de spectacle, la rotonde, le grand salon du château, « la Rue Rivoli », le salon du Parc, le premier étage du club, le poulailler… Les ateliers se distinguent par « le cartel » : le sport (football, basket, handball, tennis, natation, yoga, gymnastique…), la menuiserie (le bricolage, le renouvellement de chambre, la lingerie, la couture, le vestimentaire…), l’art (le théâtre, la danse, l’écoute musicale, le chant, la peinture, la poterie, la BD, la calligraphie…), la cuisine (la pâtisserie, le four à pain, la vaisselle…), le service (le bar, le tabac, mettre la table, le véhicule…), divers (la littérature, la philosophie, l’actualité, la rédaction, le journal, le cinéma, la radio, les contes, les jeux de société, pédicure et manucure, les médicaments, le Vietnam, le Brésil…). N’importe qui pouvait initier un atelier : un moniteur, un stagiaire, un bénévole ou un pensionnaire. Cela pouvait être une constellation au sein de la clinique ou aussi une organisation de sortie (ex : l’atelier pic-vert chez une monitrice en retraite à la banlieue de Blois, les courses au marché au Nord de Blois, la sortie de cinéma, la visite des châteaux…).

Je suis d’abord allée à la poterie. Parce que l’intérêt du modelage que Pankow a utilisé dans sa thérapie était une de mes initiatives de stage. J’ai couru à la poterie pour voir comment fonctionne le modelage chez les patients psychotiques. C’était une petite pièce indépendante avec une grande table au milieu et des étalages contre quatre murs sur lesquelles étaient exposés plein de produits. Les patients, non seulement ceux hospitalisés ou en consultation, mais aussi les parents de patients, sont venus faire quelque chose : une statue de femme, un cendrier, une sculpture géométrique, un éléphant… Le modelage était l’apprentissage le plus simple mais leurs techniques étaient beaucoup plus développées. Après l’émaillage, ils pouvaient même faire la cuisson sur place avec deux fours fabriqués par eux-mêmes.

Ce n’était pas la même chose avec un travail psychothérapeutique dans un cabinet privé autour du modelage que le patient a fait. Il s’agissait d’un travail collectif croisant le transfert horizontal entre les patients et le transfert vertical entre les moniteurs et les patients, qui ont permis un certain effet thérapeutique. Parce que les moniteurs, peu importe quelle formation ils avaient suivi, avaient entre eux et entre les patients et eux des relations plus authentiques.

On ne donne pas un enseignement typique de technique. On ne provoque pas non plus un dialogue formel autour de l’objet que les patients font. Les moniteurs ont fabriqué également ce qui leur fait plaisir. Les stagiaires, les visiteurs et les parents en tant que l’élément provisoire sont considérés comme une partie du groupe et s’inscrivent dans l’ambiance. L’essentiel traverse tout ce qui se passe et tout ce qui se croise dans l’espace de poterie.

Un atelier n’existait jamais isolé. Au contraire, il a appartenu au Club. Il fallait toujours passer par le Club pour la fondation, la gérance, la fermeture d’un atelier. Il existait spécialement la réunion inter-atelier, la réunion du club et l’assemblée générale. Parce que le travail de club psychothérapeutique était un sujet permanent à discuter. L’échange de l’expérience du travail quotidien fait partie de moteur de fonctionnement de Club.

J’ai fréquenté certains ateliers chaque semaine et j’ai participé aussi aux ateliers provisoires, par exemple, les ateliers qui avaient lieu une fois par mois ou une fois par une saison et qui dépendaient de l’horaire de la personne qui dirige l’atelier et qui est venu d’autre région : l’atelier théâtre, l’atelier de peinture…

J’ai passé aussi quelques journées particulières aux endroits spécifiques qui ont composé la vie d’atelier de La Borde :

  1. -la garderie : la maison des enfants de salariés de La Borde derrière le Château, elle avait été établie en collaboration avec Françoise Dolto

  2. -la pharmacie : elle ne concernait pas simplement une distribution des médicaments; les pensionnaires y circulent beaucoup

  3. -l’épicerie à l’Hôpital de jour mercredi à Blois : on a fait plusieurs plats avec quelques patients le matin. On a ouvert l’épicerie et on les a vendus à petit prix aux patients de l’Hôpital de jour. L’idée était d’aider à garantir la nourriture des patients qui n’habitaient pas à la Borde et qui négligeaient facilement leur alimentation

  4. -le poulailler ; c’était une petite ferme de la Borde : quelque pas du centre d’hospitalisation mais totalement un autre monde. On y a des poules, des oies, des chèvres, un âne, des chevaux et des ruches

  5. -la journée raku [3] à la poterie samedi…

Avec une attitude toujours ouverte et curieuse, on m’a proposé de faire un atelier chinois puisqu’ils étaient intéressés par la Chine. Je n’ai pas pensé à présenter généralement la Chine et j’ai préféré concrétiser une spécialité. J’ai choisi de faire de la calligraphie chinoise une fois par semaine et l’atelier a pris fin avec mon départ. Je ne savais pas exactement ce qu’apporterait aux patients mon atelier ponctuel et de courte durée. De ma part ce qui on y a fait a inspiré ma réflexion. Par exemple, une fois un pensionnaire m’a demandé d’expliquer un caractère qu’il était en train d’écrire. Je lui ai répondu que la partie gauche “femme” ajoutée la partie droite “enfant” devenaient le mot “bien ” parce que traditionnellement le fait qu’une femme pouvait avoir des enfants faisait du bien. Il a contemplé deux minutes le mot et il m’a dit qu’en français “bien” avait le sens « appartenir à ». « Le fait que l’enfant appartient à la femme ou que la femme appartient à son enfant faisait du bien ». Ce déplacement de signification avec une perspective occidentale et venant d’un patient a permis de toucher peut-être par son côté à un point historique et de découvrir de mon côté un sens refoulé par ma langue maternelle.

On n’a pas oublié la cuisine chinoise surtout que la fête du printemps avait lieu au milieu de mon stage. Avec un bénévole qui était d ‘origine vietnamienne on a fait un repas sino-vietnamien le 16 février pour deux cents personnes. On a fait passer des commandes avec les cuisiniers. On a commencé à préparer l’après-midi du 15. Les patients, tenus au courant par l’affiche et par l’annonce lors de la réunion et ceux qui ont circulé en passant par la cuisine, environ une trentaine, se sont mis au travail chaleureusement. Ils disaient « C’est l’atelier cuisine ».

Ils avaient raison. L’atelier à La Borde n’était pas délimité par le catalogue. Il n’était pas non plus cadré par les murs de salle. Il existait plutôt comme un concept d’application avec sa souplesse technique. Les gens étaient toujours accueillis, peu importe où, endroits publics ou lieux d’activité collective, afin d’établir un accès à l’individu. La cuisine n’était pas seulement une pièce équipée pour faire manger mais un anneau de la chaîne labordienne où chacun et chaque endroit a joué son rôle à partir de sa capacité d’accueillir l’autre non pas de son titre ou de son étiquette. Il s’agissait de construire un lieu dynamique.


Groupe de travail

Une série de réunions avec des médecins et des psychanalystes faisait partie de la formation théorique du stagiaire en répondant au travail quotidien. Groupe de lecture avec le Dr Pierre Couturier le mardi, on a lu des pages de L’histoire de la psychanalyse et Le concept de l’angoisse; les patients y ont participé. L’un a succédé à l’autre pour faire des commentaires. Le groupe « Phénoménologie » a fait suite à ce groupe de lecture. Le Dr Danielle Roulot y a présenté son entretien publié avec le Dr Oury au sujet de la schizophrénie. Mercredi soir c’était le groupe « Szondi » avec Marc Ledoux. Il a pris les tests Szondi de pensionnaires et interprété le profil avec sa connaissance exacte du diagnostic et sa propre sensibilité. Jeudi soir le Dr Michel Lecarpentier dans sa réunion a répondu aux questions posées par les stagiaires soit sur des patients soit sur l’institution. Il nous a aidés à éclaircir à sa façon et avec son expérience. Vendredi après-midi le groupe de parole avec psychanalyste Amaro de Villanova nous a donné des indications sur les cas cliniques. Samedi en fin d’après-midi c’était le fameux séminaire que Dr Jean Oury tient depuis 1971.

La réunion de secteur était aussi très utile. D’une part toutes les personnes qui ont travaillé dans le même secteur avaient l’occasion d’échanger les fragments de leur expérience vécue avec les repères donc différents et cela aidait à préciser ensemble quelques cas difficiles. Le médecin y a fait ses commentaires mais en laissant ouverte la discussion. On a essayé de trouver la ligne principale parmi les difficultés avec diverses références. D’autre part on s’inscrit sur la grille pour la semaine suivante selon son propre horaire de travail. Cet acte d’inscription permet à tout un chacun d’organiser l’utilisation du temps en se référant à celle des collègues, et de réaliser une pris en charge de responsabilité. En tant que stagiaire j’ai ressenti vivement dans cette réunion l’ambiance de l’équipe d’un secteur : la motivation de l’équipe était aussi importante que la motivation de l’individu.

La réunion de l’association culturelle (SNARK) s’est passée à la fin de la semaine. Elle était très intéressante. Chaque fois le thème était différent : l’actualité de la pédagogie sous l’influence de la psychothérapie institutionnelle, l’échange avec un groupe de l’Hôpital de Bruxelles, la difficulté de travail quotidienne de moniteur initiée par une invitée d’une autre clinique, l’introduction de la philosophie de Jacques Deleuze présentée par une stagiaire thésard… Ces petits points de départ ont permis les discussions approfondies. Mon stage s’est terminé par la 24e Journée Nationale de Psychothérapie Institutionnelle de la Fédération de l’Inter-Association Culturelle à Bergerac intitulée « Devenir de la psychiatre, de la pédagogie, du médico-social au regard de l’histoire ».



Le troisième mois

« Bonjour Dan — Bonjour S., ça va ? — Non, ça ne va pas très bien. » Il avait l’air pâle en marchant toujours hâtivement. Il n’a jamais pu rester plus de cinq minutes, même dans son atelier préféré. On s’est croisé devant le secrétariat médical. Il m’a regardé dans les yeux et il s’est avoué honnêtement son mauvais état. Ce n’était qu’ici que j’ai entendu les gens répondre à « ça va ? » par « ça va mal » tout le temps.

Je suis allée dans la chambre de M., qui s’est assis immobile sur le banc du couloir. C’est une chambre de quatre avec la fenêtre vers des bois. Bruno quitte sa chambre toujours très tôt le matin et rentre toujours à peine la fin du « 17/23 ». On l’a jamais vu au SAM dans son secteur. L. a laissé ses affaires sur son lit et par terre. Il s’est baladé et on ne savait pas où il était. Je suis entrée. Il n’y avait que D. à fumer sur leur terrasse. Il était du genre silencieux. Ce jour-là, il était de bonne humeur et il m’a raconté son week-end et puis son histoire avec sa mère. Au bout d’un moment, il m’a demandé en souriant « Tu viens pour le ménage ? On le fait ? »

Je suis passée la cuisine pour chercher la poudre de cacao pour G. qui a 90 ans. F. qui porte toujours un seul pendentif m’a appelé de loin « La Perse! »

J. a ouvert la poterie exceptionnellement pour la visite de mes amies. Je me suis bien souvenue de la scène où il m’avait donné son nom entier froidement quand j’étais à la poterie la première fois.

Je ne me suis plus précipitée pour aller en réunion, parce que j’ai pris l’habitude des « quinze minutes de retard » de La Borde qui ont servi à parler avec les patients qu’on a croisés en route.

Deux amies qui sont venues visiter La Borde en matinée de mars m’ont dit qu’elles avaient l’impression que je connaissais tout le monde. J’ai fait la connaissance avec les gens et je me suis fait connaître. Cet itinéraire de la connaissance était un apprentissage ici.

Cela me fait penser à une phrase de François Tosquelles dans Une politique de la folie : « J’ai toujours eu une théorie : pour être un bon psychiatre, doit être étranger ou faire semblant d’être étranger. Ainsi, ce n’est pas une coquetterie de ma part de parler si mal le français. Il faut que le malade — ou le type normal — fasse un effort certain pour me comprendre ; ils sont donc obligés de traduire et prennent à mon égard une position active […]Ce qui compte ce n’est pas tant ce que le malade dit, mais la coupure et la séquence ». [4]


Il s’agit de transfert, « Transfert multi-référenciel » ainsi nommé par François Tosquelles et « Transfert dissocié » par Jean Oury. L’institution destine à fournir une base de fantasmes pour que chaque sujet puisse trouver une possibilité de l’accrochage partielle. La diversité de lieux, de personnages, et d’objets, la variété de l’entourage imposent les malades afin qu’une greffe d’espace où émerge une certaine fonction du signifiant puisse être établie. « La pratique de la thérapeutique institutionnelle montre que la fantasmatisation individuelle se refuse systématiquement à respecter la spécialité de ce niveau symbolique du fantasme de groupe. Elle tente au contraire de se l’incorporer et d’y plaquer des données imaginaires singulières qui viennent se nicher tout “naturellement” dans les différents rôles potentiellement structurés par le déploiement des signifiants mis en circulation par le collectif. »5


Le club en tant qu'agent d’intermédiation dans l’institution, entre la clinique et les patients, gère fondamentalement une relation institution-individu. D’une part, il soigne la clinique qui représente la relation sociale qui constitue aussi des problèmes individuels et qui peut-être reconnaît dans les instances psycho-pathologiques. D’autre part, le club s’apparente à l’assemblée de l’atelier et à tous les détails quotidiens. Avec l’hétérogénéité il peut s’adapter de façon spécifique le plus possible à chaque individu. Ça permet le délire et toute autre manifestation de maladie, au sein de laquelle le malade restait jusqu’alors muré et solitaire, peuvent parvenir à un mode d’expression collective : une expression se trouve aussi entre les soignés qu’entre les soignés et les soignants.

En quelque sorte, le collectif interpelle chaque personne, les soignants comme les soignés, à questionner sur leur être. L’intervention créative et la modification interviennent dans le même temps. « Une possibilité aux individus de se servir du groupe à la façon d’un miroir. Alors, tout à la fois, l’individu manifestera le groupe et lui-même. Si c’est le groupe en tant que chaîne signifiante pure qui l’accueille, il pourra se révéler à lui-même, au-delà de ses impasses imaginaires et névrotiques » [6].

Le collectif devient « une double scène » comme ce qui était décrit par Guattari : l’un rassurant et protecteur, l’autre laissant affleurer derrière cette réassurance artificielle l’image la plus accomplie de la finitude humaine.


                                                                                                                Xu dan

                                                                                                        Avril 2010



Annexe


Lundi

    9 h - 9 h 30…………Réunion BCM

    9 h 30 - 12 h 30…………SAM aux Bois.

    12 h 30 - 13 h…………Réunion médicale

    13 h…………Déjeuner dans la salle à manger avec tout le monde

    13 h 45 - 14 h…………Rail

    14 h…………Réunion Laborde Ivoire avec Dr Philippe Bichon

    14 h 30 - 16 h 30…………Réunion stagiaire

    16 h 30 - 18 h 30…………La Poterie

    19 h…………Dîner au local stagiaire entre les stagiaires


Mardi

    10 h 30…………Réunion de préparation du club

    11 h 30…………La Piscine aux Blois/Le tabac

    13 h…………Déjeuner

    14 h…………Réunion du club

    15 h…………Atelier « calligraphie chinoise »

    16 h…………Lecture avec Dr Pierre Couturier

    17 h 30…………Groupe « phénoménologie » avec Dr Danielle Roulot

    19 h…………Dîner

    20 h 30-22 h 30…………Jeux de société


Mercredi

    9 h - 9 h 30…………Réunion BCM

    9 h 30 -11 h…………SAM aux Bois.

    11h - 12h…………Pitchoum avec Dr Jean Oury

    13 h…………Déjeuner

    14 h -19 h…………Divers

                    Atelier Pic-vert

                    Atelier théâtre

                    Bar

                    Réunion Cinéma

                    Bibliothèque films à propos de La Borde

    19 h…………Dîner

    20 h - 22 h 30…………« Szondi » avec Marx Ledoux

*Soit une journée Poulaille, une journée à l’Hôpital de jour, une journée à la garderie, ou une journée pharmacie


Jeudi

    9 h - 9 h 30…………Réunion BCM

    9 h 30 - 12 h 30…………SAM aux Bois.

    12 h 30 - 13 h…………Réunion médicale

    13 h…………Déjeuner

    13 h 45 - 14 h…………Rail

    14 h - 15 h…………Réunion Comité Hospitalier (une fois par mois)

    15 h - 18 h 30…………Divers

                    Atelier Pied et main

                    Atelier Kalo

                    Atelier Feuilles volants

                    Atelier médicament

                    Poterie

                    Atelier bricolage

                    Atelier peinture

                    L’accompagnement d’achat de tabac

    18 h 30 - 21 h…………Dossiers avec Dr Michel Lecarpentier

    ou 17/23 à partir de 16 h 30

    ou une soirée de handball


Vendredi

    10 h…………Réunion de l’Hôpital de jour

                        (une fois par mois)/ Journal au Club

    13 h…………Déjeuner

    14 h 30…………Réunion de secteur (Bois)

    15 h - 16 h…………Groupe de parole avec Amaro.

    16 h - 17 h…………Assemblée générale

    17 h 30 - 19 h…………SNARK (Réunion d’association culturelle)

    20 h 30…………Bar à thé


Samedi

    9 h 30 - 12 h…………SAM aux Bois.

    12 h…………Atelier Vietnam

    13 h            Déjeuner

    14 h 30 - 18 h 30…………Divers

                    Atelier littérature avec Marie Depussé

                    Poterie Raku

                    Échecs avec pensionnaires

                    Blois

    18 h 30 - 20 h 30…………Séminaire de Jean Oury


Dimanche

    10 h…………Atelier randonnée

    12 h 30…………Déjeuner

    14 h - 15 h 30…………Divers

                    Atelier calligraphie occidentale

                    La feuille du jour

                    Le concert provisoire

    15 h 30 - 16 h 30…………Le monde interne

                    (entretien de pensionnaires en groupe avec Amaro)

    20 h 30…………Film au grand salon ou Sortie au cinéma


Pourquoi La Borde est un lieu attachant ? [1]


Xu Dan

[1] Je remercie de tout mon cœur Madame Marie-Lise Lacas qui m’a aidée à corriger ce texte.













[2] Jean Oury, Le collectif, le séminaire de Sainte-Anne. Champ social édition, 2005. p. 20.
























































































































































































































































[3] Raku, caisson japonaise








































































































































[4] François Toquelles, Une politique de la folie, Chimères, Automne 1991 n 13. p. 67-70.













[5] Félix Guattari. La transversalité, Psychanalyse et transversalité, Essais d’analyse institutionnelle, La Découverte, 2003. p. 77


















[6] Ibid, p. 82


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