Paris, jeudi 25 février 2010, chez Clovis

An XXIX après Lacan


曲则全,枉则直

qu ze quan,wang ze zhi


L’inconscient ça n’a rien à faire avec l’inconscience

dit Lacan dans son séminaire XXIV L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre. C’est-à-dire que l’inconscient n’est ni la conscience ni le préconscient et encore moins l’inconscience qui est le coma, sommeil profond, ou au sens figuré, l’aveuglement. C’est, bien plutôt, la conscience qui s’efface et qui s’aveugle. Elle s’enlise dans l’illusion de croire qu’elle a conscience d’avoir conscience de quelque chose. Comme dit Lao zi « Les cinq couleurs aveuglent l’homme » (12). Il y a entre l’inconscient et l’inconscience la même différence qu’il y a entre l’ignorant et l’ignare qui ignore qu’il ignore. L’inconscient c’est l’éveil. C’est la conscience qui est un sommeil engourdi agité d’inquiétudes. La dépression, l’angoisse sont d’abord des consciences de dépression et d’angoisse. L’inconscient va par de-là les consciences engluées dans leurs signifiants et leurs signifiés. « La vie n’est pas un songe », dit Lacan parce que l’inconscient c’est le réel (Séminaire XI Les Quatre Concepts de la psychanalyse, p. 53). Il nous faut garder en mémoire le processus primaire de Freud. La force de Lacan c’est d’avoir privilégié ce processus primaire ou première topique, vous vous souvenez : « inconscient — pré-conscient — conscient ». Les psychanalystes américains (l’IPA) ne jurent que par la deuxième topique, « ça, moi, surmoi » pace qu’elle s’applique illusoirement à la réalité consciente, ce qui les inscrit, de fait et de droit, à la sinistre SAMCDA. Coacher le moi en faveur de normes idéologiques renforce la culpabilité. Cette psychanalyse sans inconscient ne produit, que du S barré : $, du sujet insatisfait, pire, du sujet donnant l’apparence de la satisfaction, simulant le bonheur. L’inconscient, de Freud et de Lacan, c’est de la parole, mais une parole qui échappe à la parole ordinaire comme à la parole soi disant savante. Ce n’est pas la parole de l’énoncé mais celle de l’énonciation. « Dao ke dao fei chang dao », disait déjà Lao zi, c’est-à-dire :

La parole véritable n’est pas la parole normale.

道可道,非常道

Qu’est-ce que cette parole hors norme, cette parole de l’énonciation, hors de l’impérialisme mal appliqué du principe d’identité et à quoi peut-elle servir ? Comme on l’a vu la dernière fois, il s’agit de la parole en tant que ligne ouvrante de fraction qui sépare le signe du sens, le signifiant linguistique de son signifié : S/s. À quoi sert cette ligne ouvrante de séparation ? À mettre l’inconscient en mouvement et tout spécialement lorsqu’il est refoulé par les pétrifications malsaines des signifiants et des signifiés le contraignant à faire retour sous forme de souffrances mentales, physiques ou comportementales. La parole de l’inconscient est donc cette parole qui libère et fractionne le signifiant et le signifié S/s. C’est le Dao, du Daodejing de Laozi. Cette parole se distingue du fil de l’énoncé de toute communication au sens ordinaire et technologique du terme. Que dit cette parole surprenante de l’inconscient ? Elle dit : « va, va par-delà toutes les consciences, va par de-là tous les ensembles de conscience ». C’est la vertu du « gay sçavoir » dit Lacan (Télévision, p. 40). C’est cette parole qui rend possible la relecture incessante des textes anciens ou modernes, pour une nouvelle écoute, et une amplification des énoncés à travers le temps. C’est une sorte de plus value ou de plus de jouir de toute parole. C’est la parole qu’écoute l’analyste à travers celles de l’analysant. C’est, pourrait-on dire, la parole du rien, . Qui consiste

Non pas à comprendre, à piquer dans le sens, comme dit Lacan (Télévision, p. 40) mais le raser d’aussi près qu’il se peut sans qu’il fasse glu et jouir du déchiffrage.

Ce rien, encore une fois, n’est pas le rien nihiliste de la pensée occidentale qui nécessairement nie quelque chose qui est déjà là. Il y a, il y a quelque chose et seulement après cette chose peut être niée. C’est l’être d’abord puis le néant après. C’est ce qui caractérise la philosophie et toute la pensée occidentale. Tandis que, à partir de Freud, pour la psychanalyse comme pour la pensée chinoise, c’est l’inverse, le rien est d’abord. L’inconscient est avant le conscient. Le rien est antérieur à toute chose. Le vide précède les formes. C’est le rien de la scansion créatrice.


Pour la linguistique, la « linguisterie », comme dit Lacan, le signe est l’ensemble unitaire que forme la partie sensible du signifiant (sons, lettres) et la partie abstraite, le signifié. Signifiant et signifié servent à la communication, la barre de fraction qui les sépare c’est ce que nous appelons la ligne ouverte de la parole de l’inconscient : S/s. Cette ligne ouverte est, à strictement parler, la mort du signe linguistique. Car,

Dans un langage, explique Lacan, les signes prennent leurs valeurs de leur relation les uns aux autres dans le partage lexical des sémantèmes [le texte] autant que dans l’usage positionnel, voire flexionnel des morphèmes [le sens], contrastant avec la fixité du codage ici mis en jeu.

« Fonction et champ de la parole et du langage », in Écrits, p. 297.

Pour illustrer cette explication qui peut nous sembler au premier abord compliquée nous allons nous servir du poème « le Cygne » de Sully Prudhomme. Mais, en entendant le signifiant « cygne » non pas comme désignant l’oiseau, mais, arbitrairement, par une « liberté libre » pour reprendre l’expression de Rimbaud, celui de « signe ». Cygne, signe. Quel signe ? Tout à la fois le Signe signifiant (sémantème), le signe signifié (morphème), qui forment ensemble le signe linguistique. Mais ce signe linguistique est mis à mort par sa propre ligne fractionnelle. Ligne fractionnelle qui est justement notre signe de risque, signe sans signe, désignant le tracé ouvrant de la parole de l’inconscient. Inutile de rappeler que les poètes en nous parlant d’une chose nous parlent aussi d’autres choses, que la parole poétique ne se réduit jamais à une communication unilatérale mais à une plus value non pensée, non dite, non exprimée, ineffable et épanouissante d’une autre dimension de la parole. C’est ce qu’on appelle la ligne du tracé ouvrant de la parole de l’inconscient. Cette ligne demande qu’on l’écoute. Il appartient pourtant à chacun de pouvoir faire, quand il le veut, l’expérience du ça qui parle et du ça qui écoute simultanément. Plus ça écoute plus ça parle. La lettre S ne ressemble-t-elle pas à un cygne ? S quand on le fait parler et qu’on l’écoute est homophone de ès, (en matière de) de esse (infinitif d’être en latin) de est-ce (la question) et de tout instrument qui ressemble à un crochet, aussi bien chez les musiciens que chez les bouchers. Sur une suggestion de notre collègue Claire Soumagne, Maud Ribler de la Compagnie du Théâtre de l’Épopée, va nous lire maintenant le poème « le Cygne », le signe, de Sully Prudhomme, sur la musique de Tchaïkovski, intitulée « La mort du cygne » et dont nous détournons, odieusement, le titre en « la mort du signe », du signe linguistique « dont le verso est le sens » comme nous l’avons vu la dernière fois. C’est p. 19 de Télévision.

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d'avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un blanc navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente, et, laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure.
La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent ; il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule.
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.

Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
A l'heure où toute forme est un spectre confus,
Où l'horizon brunit rayé d'un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit,
Et que la luciole au clair de lune luit,
L'oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette,
Comme un vase d'argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.


Après la mort du signe linguistique et la description poétique du signe comme ligne ouverte de l’inconscient qui, selon le poète « dort la tête sous l’aile entre deux firmaments » nous pouvons faire parler autrement le mot « psychanalyse ». Certes, comme on l’a vu (Télévision, p. 17), « Une pratique n’a pas besoin d’être éclairée pour opérer » Mais aujourd’hui n’est-il pas opportun de définir par ce qu’on entend par le mot psychanalyse ? M. Charles Hanly nous donne sa définition en tant que président actuel de l’IPA (Association Psychanalytique Internationale). Cette association fut fondée par Freud en 1910. Elle démontre, si besoin était comment un message, celui de Freud, nous revient sous une forme inversée. L’IPA compte plus de 12 000 membres dans plus de 40 pays et effectue aujourd’hui une percée importante en Chine. Voici donc comment le président de l’IPA définit la psychanalyse :

La psychanalyse… est la domestication de la vie instinctive et la quête de l’autonomie du soi.

In Philosophie Magazine, février 2010, p. 77.

Cette définition, qui conviendrait parfaitement à la morale, à la religion, à la philosophie ne peut s’appliquer à la définition de l’inconscient selon Freud et Lacan. L’inconscient c’est de la parole, même si ce n’est pas la parole ordinaire ou savante. Comment la psychanalyse rechercherait-elle « l’autonomie du soi » puisque le soi se définit comme la conscience réfléchie qu’un individu peut avoir de lui-même ? La psychanalyse, comme la cure psychanalytique, se définit, tout au contraire par la mise en mouvement de l’inconscient. Certes, « analyser » c’est distinguer en les séparant les éléments d’un ensemble. Mais le terme grec « analyse » a pour définition première « libération » (Bailly). La psychanalyse n’est donc pas « la domestication de la vie instinctive ». Au contraire c’est la libération (analusis, αναλυσις) du souffle vital (psyché, ψύχη). Comment dit-on « souffle vital » en chinois ? on dit Qi (prononcez tchi) : , comme dans qi gong, « le souffle du vide » ou tai qi, « le souffle suprême » Les graphies les plus anciennes du caractère Qi représentent des souffles qui montent et qui descendent nourrissant le ciel et la terre qu’on peut interpréter comme métaphores du signifié et du signifiant : s/S. Nous comprenons donc dès lors que Lacan distingue la fausse et la vraie psychanalyse. Rappelons-nous que l’IPA a interdit à Lacan en 1963 de tenir son séminaire sur Les noms du père (voir Jacques Lacan d’Erik Porge, p. 295). Pourquoi interdire à Lacan « les noms du père » ? Parce qu’il y réduisait l’Œdipe à du langage et le père à la polysémie du signifié. L’inconscient est du langage, donc l’Œdipe est nécessairement une métaphore du langage. Ce n’est qu’ainsi que l’Œdipe est universel, et, véritablement « la source de toutes les névroses » comme disait Freud. Les Grecs ne croyaient pas à leurs dieux. Ils savaient qu’ils ne représentaient que des mots. D’ailleurs le terme “mythologie” est composé de deux termes qui signifient chacun parole, muthos et logos. C’est la parole dans la parole. L’Œdipe ne dépend pas d’un modèle culturel et social ou d’une conception nucléaire de la famille sinon la famille des mots. Nos pères et nos mères ne sont que les signifiants et des signifiés. Lorsqu’ils divorcent on ne comprend plus rien. D’où le conseil du Chan : « Si vous rencontrez vos parents (dans l’inconscient) tuez-les ». La cure psychanalytique vise la mise en mouvement de l’inconscient. En parlant sans se censurer, en pratiquant l’association libre des signifiants et des signifiés, la parole de l’inconscient se dénoue, se renoue et se défait de ses résistances pathologiques en dégageant un souffle vital renouvelé.

Le saint, que Lacan assimile au psychanalyste, comme on l’a vu la dernière fois, ne peut donc être le saint d’aucune religion. C’est un saint sans religion, fut-elle laïque. Toute religion, selon Freud, est fondamentalement une illusion. Reste le saint dont le seing exprime : « sans religion ni rejet de la religion ». Le saint des cinq discours. Le saint de la Grande Santé, selon Nietzsche, le saint qui ne se nourrit qu’au sein de sa propre parole qui ne se nourrit que d’elle-même. Entre blanc et non blanc, pour prendre ce qui caractérise le principe d’identité et « l’autonomie du soi » selon l’IPA, le saint-analyste est cette différence fractionnelle qui permet de distinguer le blanc du non-blanc. En somme le Saint de Lacan est le tiers exclu. Le tiers exclu, déchet pour la linguistique et la logique, pareil à la barre fractionnelle du S/s, entre le signe et sens.



Topologie des nœuds du temps (suite cartel n° 4)


En topologie il y a des nœuds dans l’ombre. Ce sont des nœuds trompeurs car on ne voit pas les dessus-dessous. Voici par exemple un borroméen dans l’ombre dessous. Voici par exemple un borroméen dans l’ombre




Faire une courbe du 1 jusqu’au 2. Sans lever le crayon passer du 3 jusqu’au 4 et faire une courbe jusqu’au 5 Puis sans lever le crayon passer du 6 au 7 et faire une courbe vers le 1.

Ce borroméen dans l’ombre est une manière d’illustrer le mythe de la caverne de Platon. Mais au lieu que ce soit la lumière du conscient qui rende compte de la vérité, ici c’est le conscient qui n’est que l’ombre de l’inconscient. C’est un platonisme inversé.

« RSI, mon nom pour la psychanalyse », disait Lacan pour résumer son œuvre. Ce par quoi il proposait son écriture borroméenne de l’inconscient et sa topologie des nœuds. Il appartient à ses successeurs de se débrouiller en se mettant au travail dans cette dimension.

Pour comprendre la topologie lacanienne il faut se souvenir de la formule de Desargues que nous avons déjà vue : « Toute ligne allongée à l’infini de part et d’autre est un cercle ». Se souvenir aussi que l’écriture chinoise a pour origine les lignes brisées obtenues en chauffant des os ou des écailles de tortue. C’est le tracé ouvrant de la parole : O.    C’est ce qui ouvre la topologie lacanienne des nœuds et dans la physique moderne « les fluctuations du vide ». L’ensemble vide en mathématique est représenté par un grand O rayé : Ø

La conscience n’est que l’ombre de l’inconscient. La réalité n’est que le théâtre des ombres de l’inconscient, pareille aux ombres chinoises. « Le monde (Umwelt) est un fantasme », explique Lacan, « une grimace du réel » (Télévision p. 17), le réel étant l’inconscient. L’écriture n’est que l’ombre des voix.



L’objet petit a et le chan, ,


Dans la clinique l’objet petit a sert au psychotique à suppléer le trou de l’inconscient. Mais en l’abordant plus librement on éclairer l’objet petit a par des points de vue différents.

Comme nous l’avons déjà souligné, Chan ne signifie pas méditation mais absorption. La ligne qu’on voit sur le site de l’autel dans le caractère primitif servant à traduire Chan est fondamentale : , puisque toute ligne, comme on l’a vu avec Desargues, une droite allongée à l’infini de part et d’autre est un cercle. C’est la ligne ouverte de la parole, la rivière de l’illumination, le un comme fragment du zéro.

L’ob-jet (jet, jaillissement, ob, devant) a est dit « petit » parce que le fragment, l’abrégé, la concision, la rapidité s’imposent de la prolifération et de la puissance. Ce sont les particules les plus brèves, nous disent les physiciens quantiques, qui sont les plus puissantes.

L’ob-jet « petit a » a cinq éclats :

1) Le sein. Le sein représente la première chose dont on se nourrit. De quoi se nourrit la parole de l’être parlant ? La parole de l’être parlant se nourrit d’elle-même. Elle s’absorbe elle-même. Elle est volonté de jouissance et éternel retour d’elle-même : O, se nourrissant de l’extinction d’elle-même. Comme l’amour elle fait cercle sur elle-même en couronnant la fin par le début dans une parfaite pulsion orale. C’est la pulsion qui se retourne sur elle-même (Freud, Destin des pulsions).

2) Les fèces. Les fèces représentent l’impermanence de la matière. Les corps et l’esprit passent comme des fèces. Cela nous engage à la modestie, « inutile de se la péter », comme on dit, tout passe comme des fèces. C’est leur impermanence qui rend les fèces fertiles, comme tout ce qui pourrit. Toutes les choses, grossières ou subtiles, parce qu’elles passent, se démasquent comme étant des fèces. Tous les univers se réduisent à la pulsion anale du temps, aux fèces du temps. Mais pour le ça, le sans nom, le temps, qui est justement ce qui passe, ce qui fractionne, il n’y a pas d’arrêt sur les fèces. Il n’y a pas de fèces. Dans la mobilité du ça il n’y a pas d’envers, il n’y a pas de rives. Donc, comme on peut dire en français « le ça n’est pas le sale ». Il va par-delà. Il est vide comme le temps. Il est la poussée qu’est le vide. Ainsi le maître Chan Hui Neng (Xe s.) peut-il enseigner : « Tout est vide depuis le commencement où y aurait-il du sale ? » Il n’y a pas de saleté dont on pourrait se culpabiliser, pas de sale à refouler, à transférer, pas de sale qui se répéterait pour de petits bénéfices. L’objet a est la richesse des fèces qui, pareilles au temps, produit sa fertilité en disparaissant.

3)La voix. La voix représente la force. La pulsion sonore du petit a peut-être à la fois le silence absolu et la montée d’une tonalité si forte qu’elle déracine les arbres. Notamment le déracinement de l’arbre des philosophes (voir Descartes).

4) Le regard. Le regard représente la puissance de la pulsion scopique. Le regard du petit a et si puissant que là où il cible les fleuves remontent jusqu’à leurs sources. Notamment les fleuves religieux.

5) Le rien. Le rien représente la scansion de la pulsion créatrice et négatrice. Le rien est la création-négation en tant que scansion de la parole : . Comme dit Mallarmé « rien, le seul objet dont le néant s’honore ». « Wu, rien, dit Laozi, c’est l’origine du ciel et de la terre » :

Wu ming tian di zhi shi

無名天地之始


Télévision

Dans une séance précédente nous avions vu que l’âme était définie en tant que mesure, mesure consciente ou préconsciente. Nous avons vu que l’âme n’était que « la somme des fonctions du corps », lequel était un effet du langage inconscient. Lacan contredisait ici Aristote en expliquant que l’homme ne pensait donc pas avec son âme, comme l’affirme toute l’histoire de la philosophie mais qu’il pense avec le langage inconscient lequel découpe les corps et les esprits à sa façon, en tout cas d’une façon « qui n’a rien à voir avec l’anatomie ». (Télévision, p. 16) ni avec la logique.

Aujourd’hui (Télévision, p. 34) il sera question de l’affect distingué par Lacan de « l’énergie naturelle ». L’affect, d’une manière générale, est défini comme étant un changement se produisant dans le corps et le mental. Sa distinction avec ce qu’on appelle « l’énergie naturelle » est importante car cette expression sert à tout et à n’importe quoi, notamment dans les discours débilitants sur les techniques extrême-orientales. L’énergie naturelle, nous devons considérer en dépit des apparences, qu’elle est fondamentalement passive. Même quand elle est aussi puissante que le sont les fleuves ou les chutes d’eau, la résistance des roches, ou les tempêtes. Toutes les forces naturelles sont passives car elles n’ont pas d’autonomie, elles dépendent les unes des autres. Si elles étaient autonomes elles pourraient agir par elles-mêmes. Les fleuves pourraient remonter jusqu’à leur source, les feux s’allumer ou s’éteindre sans raison, la terre s’évaporer à sa fantaisie et l’air souffler ou se reprendre quand il le voudrait. Bref, l’énergie naturelle ne serait pas maîtrisable par l’homme.


L’affect, nous montre Lacan, conformément à la découverte que l’inconscient est du langage, n’est pas dû à l’âme. L’affect est une interférence de la parole de l’inconscient, c’est complètement différent de la mesure de l’âme. L’affect est donc antérieur à l’âme, au corps et à l’esprit.

(Lecture du texte sur l’affect, de la page 34 à 39)


Avant de continuer sur la page 39 où il est question du bonheur, revenons à la question que pose l’interviewer(p. 33) :

Depuis vingt ans que vous avez avancé votre formule, l’inconscient est structuré comme un langage, on vous oppose, sous des formes diverses : « ce ne sont là que — des mots, des mots, des mots. Et de ce qui ne s’embarrasse pas de mots, qu’en faites-vous ? Quid de l’énergie psychique, ou de l’affect, ou de la pulsion ? »

Vous voyez et entendez tous, j’en suis sûr, la débilité, la vulgarité de la question. Réponse de Lacan :

Vous imitez là les gestes avec lesquels on feint un air de patrimoine dans la SAMCDA [Société d’Alliance Mutuelle Contre le Discours Analytique].

C’est avec un pied de nez que je sors comme ça aujourd’hui, histoire de rire à la télé, la SAMCDA.

C’est expressément à ce titre que Freud a conçu l’organisation à quoi ce discours analytique, il le léguait. Il savait que l’épreuve en serait dure, l’expérience de ses premiers suivants l’avait là-dessus édifié.

En effet, les premiers disciples de Freud l’ont complètement trahi, tel Adler, Jung, Klein, Rank, Reich, Binswanger, pour ne citer que les plus prestigieux, qui lui ont « renvoyé tel l’IPA, son propre message sous une forme inversée », pour reprendre l’expression de Lacan.


Nous ne sommes affectés que par du langage.

La tristesse, par exemple, dit Lacan, (p. 39) on la qualifie de dépression, à lui donner l’âme pour support, ou la tension psychologique du philosophe Pierre Janet [remarquons au passage qu’il qualifie Janet de philosophe alors qu’il est éminent psychologue et psychiatre. Mais, comme on l’a vu, du point de vue de la psychanalyse, c’est pareil, c’est du conscient]. Mais ce n’est pas un état d’âme, c’est simplement une faute morale, comme s’exprimait Dante, voire Spinoza : un péché, ce qui veut dire une lâcheté morale, qui ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure.

Structure et langage c’est pareil comme on l’a vu page 16.

À l’opposé de la tristesse, poursuit Lacan, il y a le gay sçavoir.

L’expression « gay savoir », vient de Rabelais et de son « Gargantua », chapitre X, où il montre qu’il y a, chez les disciples de Dionysos, « deux ivresses, deux rires, comme il y a deux manières d’interpréter », celle du discours conscient et celle du discours inconscient. « Le Gay Savoir » est aussi le titre d’une œuvre de Nietzsche de 1882 où cette différence est largement démontrée. Lacan reprend à son compte cette expression par laquelle il désigne expressément la vertu l’inconscient. Vertu prise au sens de force.

À l’opposé de la tristesse, il y a le gay sçavoir, lequel est, lui, une vertu. Une vertu n’absout personne du péché, — originel, comme chacun sait [le péché c’est le sens]. La vertu que je désigne du gay sçavoir en est l’exemple, de manifester en quoi elle consiste : non pas comprendre, piquer dans le sens, mais le raser d’aussi près qu’il se peut sans qu’il fasse glu pour cette vertu, pour cela jouir du déchiffrage, ce qui implique que le gay sçavoir n’en fasse au terme la chute, le retour au péché.

C’est-à-dire que la chute c’est le retour au sens. La chute dans le sens c’est très précisément le péché.

Où dans tout ça, ce qui fait bon heur ? Exactement partout. Le sujet est heureux.

Le sujet de l’inconscient est heureux. Ce qui l’oppose à la conscience malheureuse, la conscience du péché à la recherche de sens, du « bon sens, voire du sens commun » (voir p. 19).

C’est même sa définition, poursuit Lacan, puisqu’il ne peut rien devoir qu’à l’heur, à la fortune autrement dit [l’expression avoir l'heur signifie « avoir la chance », « avoir le bonheur », « avoir le plaisir de »] et que tout heur lui est bon pour ce qui le maintient, soit pour qu’il se répète.






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Lecture de Télévision de Jacques Lacan

entrecroisée avec la « pensée chinoise »


Guy Massat

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