exposé fait le 31 janvier 2007

dans le cadre du séminaire

de l’association Psychanalyse en Chine



L'association Psychanalyse en Chine se propose d'interroger cette année la question de la diffusion de la psychanalyse en Chine. Je me propose de considérer ma rencontre avec une Chinoise et sa façon de dresser une barrière à une possible rencontre entre son monde et le supposé mien. Or c'est justement par un élément qu'elle dresse comme obstacle, l'écriture chinoise, que s'est ouverte une porte.


Comment évoquer le monde chinois sans considérer son écriture. Cette écriture dont je crois comme Lacan, qu’elle peut nous éclairer sur la question de l’écriture en général. Écriture singulière mais qui n’échappe pas aux règles qui se reconnaissent dans toutes les langues. D’ailleurs les linguistes nous le rappellent avec insistance : il s’avère que comme les autres langues, la langue chinoise soumet l’écriture au langage. Et pourtant cette écriture n’a jamais “viré” à devenir une pure transcription phonétique, à devenir une écriture alphabétique. De même que cette écriture n’a jamais été une représentation de choses.

Mais sur ce plan, comme sur d’autres, la Chine induit l’idée qu’elle est un monde en soi, un ailleurs radical. Les Chinois aiment à nourrir cette idée, les Occidentaux se plaisent à en être fascinés. Et d’aucuns de creuser l’écart et d’autres de tenter des liens. Certains de proclamer l’indifférence à la psychanalyse comme irréductible, d’autres de penser le détour par la Chine comme un questionnement.

Je ne sais pas si la psychanalyse peut “fonctionner” en Chine. Mais on peut pareillement se demander si elle peut fonctionner ailleurs que dans la Vienne du début du XXe siècle, où à proximité l’ENS de la rue d’Ulm. Je suis, par contre, convaincu qu’un analyste peut advenir dans d’autres contextes. Et il me paraît certain que s’il y a de la Chine, il faudra prendre en compte la prégnance de l’écrit qui constitue cette culture. Car les Chinois, envers et contre tout, ne cessent d’affirmer leur attachement à cette écriture qui nous paraît toujours si compliquée et si encombrante.

Bien sûr l’histoire de cette écriture à laquelle se réfère tout Chinois participe de cet attachement. Que son origine se situe dans ces procédés divinatoires où l’Autre vient marquer l’écaille de tortue ou l’omoplate de bovidé de sa marque, a de quoi imposer la déférence. Cette marque tracée sous forme d’une fissure, d’une fêlure qui se donne à lire comme une indication divinatoire venant de l’Autre. L’invention de cette écriture a été attribuée à Fu Xi dont on dit qu’il a pris en compte les traces laissées par les oiseaux dans le sable. Ce “mythe” confirme le fait que ces caractères ont été “donnés” par une dimension qui dépasse l’homme. À chaque fois que l’homme retrace ces caractères il se trouve en harmonie avec la nature qui les a générés.

Mais tout ceci n’explique pas cet attachement à cette modalité d’écriture. Rainier Lanselle pose cette question au fil de son travail avec l’idée que seule la psychanalyse peut en rendre compte.  En particulier, son dernier article consacré au roman Le Rêve du Pavillon rouge m’a permis d’éclairer un cas clinique et en sert de fil directeur.1


Il s’agit d’une rencontre qui est aussi la « mise en scène », par une Chinoise, d’un écart qui serait irréductible de deux cultures, la sienne et la mienne. C’est même pour cela qu’elle semble s’adresser à moi. En effet, les premiers mots de cette femme d'une quarantaine d'années sont pour dire qu’elle est originaire de Taïwan et que donc, je ne pourrais en aucun cas comprendre ce qu’il en est de ce qui la concerne. D’ailleurs elle se demande bien pourquoi elle est allée jusqu’à faire cette démarche vouée à l’impossible rencontre auprès de cette bizarrerie qu’est un psychiatre occidental. À l’évidence, elle ne sait pas que le monde chinois ne m'est pas totalement étranger !

Elle est tellement convaincue de la vanité de sa démarche qu’elle veut interrompre de suite la séance. Je lui demande néanmoins quel est le motif “officiel” de sa démarche : elle espère éclaircir certaines choses avant de retourner rendre visite à sa famille restée à Taïwan. Elle craint en particulier de retrouver son père.

Dans un français souvent maladroit, elle dresse son cheminement depuis son arrivée en France il y a une quinzaine d’années et son mariage malheureux avec un Français. Très vite s'est affirmé dans leur couple l'écart culturel. Cet époux a toujours affiché une indifférence à sa culture d’origine et il n’a lu, lui, un homme cultivé, que quelques pages des livres chinois qu’elle lui proposait. L’écart est tel, qu’il amène cette femme à divorcer après avoir eu deux enfants.

Cette première séance tourne à l'inventaire des impossibles rencontres (avec la belle-famille, avec ses collègues de travail, avec les médecins…). En s'adressant à moi, et au-delà de sa demande, c'est donc bien pour réaffirmer l'impossible rencontre.


À la fin de cette première séance, au moment de procéder aux opérations qui concluent une consultation psychiatrique, je repense au témoignage de Huo Datong qui raconte comment Michel Guibal lui avait proposé d’écrire quand il rapportait un rêve. Aussi, je lui demande d'écrire son nom et prénom. Peu troublée, elle écrit en cursive… illisible pour tout occidental pas très entraîné à cette lecture. Elle est plus étonnée quand je lui demande d'écrire en kaishu, autrement dit, en laissant apparaître les composants de cette graphie. Elle entend alors que je demande à savoir et tout en écrivant elle en précise que son prénom, dissyllabique, comprend le phonème lǎn. Il s'agit du prénom courant qui dit “orchidée” Lán .

Mais spontanément elle ajoute, qu’en fait il ne s'agit pas du prénom que son père lui a attribué. Celui-ci a choisit de lui donner le prénom Lǎn mais dont il aurait inventé l’écriture du caractère : . Ce premier prénom est et reste pour un Chinois ce qu’il s’appelle le ming. Dans le cas de cette femme, un Chinois sera donc amené à entendre un sens - orchidée - qui ne correspond pas à ce qui est écrit.

À ce moment, elle fait entendre l’importance pour elle de son prénom, son ming, en particulier de ce caractère si singulier. Car ce caractère, ainsi écrit et non répertorié, est source de multiples complications dans sa vie au quotidien, dit-elle. Elle insiste en ajoutant qu’elle a très souvent été obligée d’en décliner la graphie, alors que ce fait s’avère banal pour tout Chinois qui aura le souci de pouvoir présenter des cartes de visite pour faire lire son nom. Elle précise aussi, qu’il ne peut être écrit avec un ordinateur. Ça serait au point que, très récemment, elle a décidé d'y renoncer et d'opter pour le caractère habituel et banal , et ceci juste avant de retrouver son père.

Le prénom que son père lui a donné, Lǎn, est composé

• de l'élément "sémantique" (c’est ainsi qu’il s’avère considéré) "femme"

• et l'élément phonétique lán :

    "garde-fou ; main courante (le long d'un escalier) ; rampe ; balustrade"

    Mais aussi : “toucher à sa fin ; fermer”

        lui-même composé

            de l'élément sémantique mén "porte"

            et l'élément phonétique jiǎn "carte ; billet ; lettre"

Dans la “porte”, il y a la “lettre” et le tout fait “la barrière”. Devant la barrière, il y a la “femme”. De suite s’impose à moi la traduction “barrière” pour , traduction qui rend si bien compte de son propos lors de cette première séance.


Cette part du prénom est précédé par un caractère qui peut être considéré aussi bien comme un verbe dont lan serait le complément d’objet ou comme un déterminant de lan. Le champ sémantique de ce caractère correspond à « adorer ; vénérer ». En maintenant l’équivoque de la langue chinoise, surtout dans ce cas de figure où des caractères sont extraits d’un contexte langagier, le prénom pourrait se « transcrire » par

            « Adorer/Adorée Lan ».2

Il faut noter, que ce père choisit de donner à sa fille un prénom dont l’énonciation ne dit rien de l’écriture, ce qui est assez habituel. Ce qui l'est moins, est que la phonétisation évoque fortement un faux-sens. L’autre particularité, est que ce caractère échappe à ce qui est quasiment la règle pour les prénoms chinois qui sont composés de mots de la langue vivante et sont donc porteurs de sens. Dans ce cas, le sens ne se retrouve pas dans le langage et il est purement graphique. En quoi il serait un pur nom propre, intraduisible, tout en étant profondément chinois de part l’importance de l’écrit. Lacan définit le nom propre lors de son séminaire sur l’identification :


Je pose qu'il ne peut y avoir de définition du nom propre que dans la mesure où nous nous apercevons du rapport de l'émission nommante avec quelque chose qui, dans sa nature radicale, est de l'ordre de la lettre.3


Radical est à entendre dans le sens de “à la racine”. On est d’abord inscrit dans la lettre; on se plie ensuite à cette lettre.

La singularité de ce nom ne se découvre qu'à l'écriture qui ouvre à une autre dit-mension. La double articulation du langage se trouve là mise en scène par ce choix troublant. 4


Viviane Alleton 5 souligne comment, pour les Chinois, le prénom est l’expression vivante de la langue, ce qui engage le destin, un moyen d’expression, l’expression de l’individu et de sa position sociale, son identité.

Or, cette femme met en exergue cet élément du prénom par lequel elle proclame sa singularité : un caractère qui n’existerait que pour elle. Elle souligne qu’il s'agit là de la trace, la marque écrite par son père dans son prénom. Et il s’avère qu’elle applique à la lettre ce dont l’Autre (ici représenté par le père) l’a marquée.

Ce père a ainsi fait trace, traçant par là même la voie de sa fille. Elle se plaît à mentionner qu’elle a d’ailleurs une place particulière dans sa fratrie. Son frère aîné, du genre débrouillard, gagne sa vie en boursicotant et faisant la honte du père. Son cadet, semble mener la vie d’un schizophrène dépendant de ses parents et faisant la tristesse du père.

Elle est la seule des enfants à s’être plongée dès l’âge de 8-10 ans dans les livres des classiques chinois. Elle est la seule de sa famille à avoir entamé des études, en l’occurrence d’arts plastiques et elle est la seule encore à s’être expatriée, franchissant les barrières et se détournant de l’image de femme que lui propose sa mère. En s’expatriant, elle réitère l’exil qui a été celui de ses parents fuyant la Chine communiste. Mais c’était pour mieux porter ailleurs la référence à son père, ce père issu d’une famille aristocratique du nord de la Chine et qui a épousé « une paysanne du sud » qui n’a d’autre souci que de faire la cuisine.

Nous avons vu comment, dès les premiers instants de la rencontre elle fait de la barrière comme son symptôme. Pour elle, ce prénom, cette part si singulière du prénom, elle l’a érigé comme un blason héraldique et donc comme référence au père. Elle semble s’identifier à cette femme, qui est devant cette barrière constituée d’une porte dans l’entrebâillement de laquelle apparaît une lettre, une carte . Le dessin de cette porte fait un cadre pour le fantasme. Peut-être faut-il considérer cette trace visible sur le papier, invention du père, cet élément de caractère « barrière » comme son sinthome, son « garde-fou » comme le traduisent les dictionnaires. Cet ensemble graphique est mis en valeur par le caractère qui le précède et qui dit : « adorer/adoré ».


Je n’ai rencontré cette femme que quelques séances conformément au cadre qu’elle avait défini la première fois : faire en sorte de pouvoir retourner au pays et retrouver sa famille. Mais elle semblait avoir surmonté sa crainte de rencontrer son père et de lui rendre compte de l’échec apparent de son cheminement : avoir épousé un non-chinois, avoir divorcé, avoir deux « bâtards », avoir échoué professionnellement et financièrement… Échec apparent certes, mais aussi témoignage d’une lecture au pied de la lettre, du choix de l’écriture du prénom tel que l’a fait son père.


Peut-être a-t-elle pu considérer qu’au-delà de la barrière un autre pouvait aussi entendre - pas comprendre, mais entendre. Un autre, qui contrairement à son ex-mari, prenait en compte ce qui était sa culture, sa littérature, son roman et ses lettres, les lettres dont elle était dépositaire. Un autre qui alors pouvait reconnaître sa fidélité au père.

Dans cette démarche de réinscription symbolique, elle a été amenée à considérer le signifiant “barrière” dont elle est porteuse, elle a été conduite au littoral, là où la lettre « touche à la fin ». Est-ce ce qui lui à permis d’évoquer l’horreur qui est du côté de celui qui aurait dû la prénommer dans cette famille traditionnelle, le grand-père paternel, victime de la cruauté japonaise ? Il semble en tous les cas, qu’après nous être séparés, elle ait choisi de garder le prénom embarrassant que le père lui avait attribué.



Or cette histoire a une suite. Certes, on ne trouve jamais ce caractère dans les dictionnaires « officiels ». Mais, en fait, j’ai appris peu après notre dernière rencontre, qu’on peut trouver ce caractère « inventé », aux dires de cette patiente, par son père, sur des sites web de Taïwan 6. est alors considérée comme la clé, la partie sémantique et comme la partie phonétique.

Ce caractère peut-être utilisé dans la constitution de prénoms de fille. On le trouve d’ailleurs assez communément en utilisant un moteur de recherche qui prend en compte les sites taïwanais. Mais il n’est effectivement pas répertorié dans les logiciels d’écriture en chinois que j’ai testés.7

À ce propos, il faut noter qu’en République Populaire de Chine, comme autrefois du temps de l’Empire, il est exceptionnellement admis par les autorités de créer de nouveaux caractères afin de transcrire des parlers locaux (tous les textes publiés sont l’objet de contrôles). L’écriture était et reste ce qui constitue l’unité de l’Empire, l’unité de la Nation, l’unité de ce qu’il est convenu d’appeler le Monde chinois. Par cette écriture commune se définit ce qu’être Chinois. Par contre, à Hongkong, la tolérance est très grande en raison de l’histoire récente de ce territoire et de sa réalité linguistique. Le cantonnais étant la langue maternelle de 85 % de la population, il est admis que chaque journal, chaque éditeur introduise des caractères non officiellement répertoriés, aux lecteurs de s’y retrouver ! Il en va de même à Taïwan, qui plus est pour l’écriture d’un prénom.

lǎn, s’avère être un caractère ancien qui signifiait “paresseux ; fainéant ; indolent”. Aujourd’hui ce mot s’écrit , lǎn 8. Actuellement, peut-être les gens qui utilisent ne savent pas ce que signifiait ce mot, mais pour un Chinois « il a une belle allure ». Voilà pourquoi on le prend pour prénom pour des filles.


Si la construction du prénom ne décrit pas la personne désignée, elle est l’expression de celui qui nomme, traditionnellement le grand-père paternel, mais ici le père par défaut de son propre père en l’occurrence.

- Peut-être que ce père a choisi ce prénom en s’adressant à un professionnel du prénom qui a proposé celui-ci en fonction de la constellation du moment de naissance. Dans ce cas, c’est bien en référer à un Autre.

- Si le père a cru inventer ce prénom, en étant ignorant de l’existence de ce caractère, il s’est donc lui-même dupé. Peut-être avait-il eu l’occasion de voir ce caractère et, après l’avoir refoulé, il l’a retrouvé à son insu. Le père l’avait donc lu avant de le choisir : c’était donc écrit.

- Mais supposons que le père était au courant de l’existence cette forme écrite. Dans ce cas, il a dupé sa fille en lui laissant croire qu’elle est la seule à porter ce prénom. Quoiqu’il en soit, la duperie est donc en jeu.


Il est important de noter qu’il opte pour un prénom taïwanais, lui, l’immigré, l’exilé de son propre monde. Cet homme issu d’une noble famille de la région de Beijing, s’est retrouvé, pauvre militaire égaré avec sa femme et ses enfants dans un village où il était le seul migrant. Par la même, il paye, sans le savoir probablement, son tribut au monde taïwanais qui l’a accueilli. Il « offre » cette fille en l’inscrivant dans ce nouveau monde et ses habitudes. En l’inscrivant, en croyant l’inscrire et même de manière nouvelle, il ne fait que lire en fait !

Le choix du prénom révèle donc le désir de l’autre paternel (grand-père ou père). Mais il s’avère que ce choix se fait sous l’égide de l’ordre de l’Autre, celui des circonstances de la naissance, certes. Mais de façon incontournable, en se soumettant à l’obligation de l’écrit et d’une écriture “donnée” par l’Autre de la divination. En cela le désir qui se donne à lire dans ce choix de prénom ne saurait être un caprice.


L’ »anatomie c’est le destin » nous rappelle Freud qui reprend lui-même une affirmation de Napoléon lui aussi grand législateur. Pour les Chinois, il s’inscrirait dans les circonstances de la naissance (l’horoscope) modulés par le ming, « le nom personnel », le prénom initial qui restera toujours unique, même si le sujet change de prénom ultérieurement. Un prénom qui ne prend tout son sens et sa force que dans son écriture. Et de dire avec Granet parlant de ce ming : « Le nom exprime l’être et fait la destinée » 9. L’importance de cette désignation qui est une inscription, introduit d’emblée à la question de l’être, au-delà de celle de l’avoir.

N’est-ce pas ce qui peut se reconnaître chez le chanteur de l’Opéra de Pékin qui change de nom pour pouvoir incarner une femme. Dans le film Adieu ma concubine, le jeune Douzi devenu Dieyi doit encore surmonter l’épreuve qui est de chanter : « Je suis, par nature, une fille… » La « nature », le « destin » qu’évoquait Freud, est chez les Chinois ce qui est déjà inscrit et qui doit se lire. La différence sexuelle, même si elle prend en compte la question de la réalité exige en plus que cette réalité puisse s’écrire pour pouvoir concerner vraiment un sujet. Cette forme de transsexualisme institutionnalisée ne nécessite point la castration, comme c’étaient le cas de nos castrats. Quant aux eunuques, ils étaient placés provisoirement hors du champ de la sexuation, et non hors du champ de l’être, le temps de retrouver leurs génitoires à leur mort.

Cette femme pense que sa singularité et son destin sont liés à la particularité de ce caractère lan. Or, son prénom s’avère singulier dans l’articulation des deux caractères qui le composent et il y a peu de chance qu’elle rencontre quelqu’un qui porte le même prénom. Mais elle isole ce caractère qu’elle semble lire comme un programme, comme le fantasme du père qu’elle cherche donc à réaliser. Ce qu’elle ne sait pas, c’est la part de l’in-su qui s’est glissé dans la « création » de ce père.



Lacan affirme :


Le langage du symptôme a le caractère universel d'une langue qui serait entendue dans toutes les autres langues.10


Peut-être. Mais, peut-être que ma lecture de ce cas est dominée par un impérialisme culturel qui ramène une histoire d’ailleurs dans notre champ habituel ? Peut-être ne peut-on pas parler d’hystérie là où il y aurait lieu de parler d’une Chinoise ? Je vous en laisse juge.


Mais aussi, que peut nous apporter ce détour par la Chine, ou dit autrement : qu’est-ce que Lacan est allé chercher là-bas ? Il me semble qu’on trouve là l’illustration de ce que Lacan désignait comme la « littéralité du signifiant »11.

On y trouve aussi l’illustration, très tangible, dans l’équivoque de la parole, de ce qu’il a désigné du terme de lalangue 12. Car n’oublions pas que ce terme apparaît dans le prolongement de ses références à la langue chinoise.

Et le blason, tel que l’érige cette femme est aussi du même ordre que l’une de ces multiples écritures de Lacan : graphe, caractère chinois, nœud, formules de la sexuation… Car on se rend compte, après-coup, qu’il n’y a pas d’enseignement de Lacan sans prendre en compte ce qu’il inscrit au tableau noir lors des séminaires. Le discours s’avère être alors un commentaire de ces écritures…

 

Barrière de Chine

Guy Flecher


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1 Rainier Lanselle, « La pierre et le jade - Sur un mythe chinois du langage », dans ESSAIM, n°17, pp.189-216

Il affirme que seule la psychanalyse peut rendre compte de cet attachement d’autant plus surprenant que l’on considère les apports de la linguistique. Dans un article récent il aborde cette question en étudiant le célèbre roman Le Rêve du pavillon rouge. Le sujet principal en est un jade « métaphore remarquable de ce qui arrive au sujet, aliéné à lui-même par le même acte qui le fait entrer dans le langage ».













































2 On peut aussi considérer que ces deux caractères sont simplement accolés, sans idée de donner sens.








3 Lacan, L’identification, 20 décembre 1961 :




4 Lacan, Ou pire…, séance du 14 juin 1972 : « Qu'on dise - comme fait – reste oublié derrière ce qui se dit, dans ce qui s'entend. »

5 Viviane Alleton, Les Chinois et la passion des noms, Paris, Aubier, 1993 : ce livre a été une source précieuse pour l’ensemble de cette réflexion sur le prénom.










































6 unicode 5b44 (GB+ 8bfb) (Big5+ eb97) - référence : Hanyu Da Zidian 2.1090.15



7 En général, ces logiciels « généralistes » proposent 3 000 à 4 000 caractères différents. Pour écrire un texte très spécialisé, comme en botanique par exemple, il faut recourir à des logiciels dédiés.






8 On peut considérer tout le champ sémantique de “paresseux”. On trouve lǎn, toujours avec la clé de la femme , mais où vient se glisser , lài, dont le sens premier est “dépendre de ; compter sur ; s’appuyer sur”. Ceci induit l’idée de la femme qui s’appuie sur la barrière. Proche de lǎn, aussi bien dans la phonétisation que dans l’écriture, il y a lán qui signifie “barrer ; bloquer ; empêcher”. Et il y a aussi lán qui signifie “grande vague"



















9 Marcel Granet, La Civilisation chinoise, Paris, Albin Michel, 1948, p. 292 (1er éd. 1929) : « Le nom exprime l’être et fait la destinée, au point que tel homme, né prince, deviendra garçon d’écurie si on lui a donné le nom de “Palefrenier” et que tel autre appelé : “Il réussira” ne peut manquer de réussir. Bien plus, un enfant qui, prédestinné au nom de Yu, porte sur la main à sa naissance des signes où on lit le caractère Yu, devra posséder, même en dépit de la volonté royale, le fief de Yu. »











10 J. Lacan. Écrits. Le Seuil, Paris, 1966. P. 293




11 Cf. le concept d'écriture au sens lacanien de la littéralité du signifiant : l'écriture n'est pas le signifiant mais ce qui reste du signifiant quand on a ôté ce que l'on entend dans le signifiant, c'est-à-dire la lettre.

12 J. Lacan. « L'Étourdit ». Scilicet, 4:5-51, 1973. Rédigé en 1972.

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