Intervention à la suite de la présentation

du travail de Ferdinand Scherrer



Michel Guibal



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À entendre la voix de Yan Helai lire la traduction chinoise du texte de Ferdinand, j’ai la surprise d’entendre la voix de Ferdinand que la lecture de son texte français écrasait. Nous avons là la mise en acte d’une variation de la procédure de la passe : le soin est donné à un passeur de nous faire entendre, en son absence la voix d’un autre, ici dans une autre langue.

J’entends, alors parlé de solitude, ce qui me fait me souvenir : en 2001, à Beijing, lors du colloque de psychanalyse, j’entends Huo Datong qui de la tribune pour commencer son intervention, déclare publiquement avoir fait à Paris une psychanalyse et remercie son analyste en le nommant : Michel Guibal. Il m’a plongé dans une très grande solitude. Un jour lui faisant part de mon désarroi, peut-être partagé, il me répondit : « Je fais simplement mon travail ».

Ce sentiment de solitude à nouveau s’est manifesté dans les années 2006, 2007. Me réfugiant à Xi’An pour y rencontrer Monsieur Kou, qui m’a toujours bien fait rire, j’y produisis la première mouture de mon Mengzi/J. Lacan.

De retour à Paris je reçus de deux personnes de Xi’An des lettres en chinois, alors même que je ne savais ni lire ni, a fortiori écrire en chinois. Plutôt que de leur répondre, en français, cette évidence je fis, durant deux ans, des efforts insensés pour déchiffrer ces hiéroglyphes, elles devinrent ainsi mes professeurs de chinois : je les nomme, ici, Madame Zhang Lin, et Madame Qian MinHua. Moi le jeune élève dans un transfert d’amour pour ces deux professeurs. L’une d’entre elles, je le découvris en novembre 2009, à Xi'An était jing shen fen xi zhi, 精神分析治. Dans ma solitude envahissante je lui ai demandé si elle accepterait d’être mon analyste ; à mon grand étonnement elle accepta. La veille de ma première séance je fis, en chinois, un rêve. Je ne vous donnerais pas le contenu de ce rêve, mais voudrais vous faire part de cette première séance. En français : cette nuit j’ai fait un rêve, mais le lapsus me fait dire cette nuit j’ai fait un Mencius, mais c’est en chinois que j’ai associé : ye li wo zuo le yi ge Meng 夜里我坐了一个, le lapsus me fit dire ye li wo zuo le yi ge Mengzi 夜里我坐了一个.

Vous voyez que l’équivalence phonique qui apparaît en pinyin (Meng/Mengzi), disons en écriture alphabétique, n’apparaît pas en graphie (夢- 孟子), et c’est bien cette équivalence phonique de la langue parlée qui m’a autorisé à analyser mon rêve d’enfant pris dans un amour de transfert, pour retrouver mon rêve d’adulte. Depuis dix ans je vais en Chine en tant que je suis concerné par « la psychanalyse », c'est-à-dire pour l’instant par la nature de l’être parlant/parlé (dans la cure) chez J. Lacan et Mengzi.

C’est pourquoi je remercie, ici, Madame Qian Xinhua d’avoir accepté d’être pour une dizaine de séances ma psychanalyste en langue chinoise, mais aussi d’accepter que je le dise, ici, publiquement au risque de la mettre en grande solitude.

Il apparaît, en outre, une autre signification : je fais mon Mengzi, c’est-à-dire je me construis un Mengzi, mon Mengzi, comme chacun construit son J. Lacan, et c’est bien à ce danger que ce colloque voudrait faire pièce.