Séminaire du 21 novembre 2013



Syngué sabour [sege sabur] n. f (du perse syngue « pierre », et sabour « patiente »).

Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s'agit d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères… On lui confie tout ce que l'on n'ose pas révéler aux autres… Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu'un beau jour elle éclate… Et ce jour-là on est délivré. [1]


Deux citations de J. Lacan :


1967 Place et origine de mon enseignement

L’origine de mon enseignement, c’est bien simple, elle est là depuis toujours, puisque le temps est né avec lui, avec ce dont il s’agit parce que mon enseignement c’est tout simplement le langage, absolument rien d’autre.

Comme probablement pour la plus grande part d’entre vous, c’est la première fois qu’une idée pareille vous tombe dans l’oreille sous cette incidence-là, que je pense qu’il y en a quand même un bon nombre ici qui ne sont pas encore entrés au siècle des Lumières. Il est probable qu’un bon nombre ici croit que le langage c’est une superstructure. Même Monsieur Staline ne le croyait pas. Il s’est quand même bien rendu compte que ça pouvait aller mal si on commençait comme ça, ça pouvait aller mal parce que, bien sûr, dans un pays que j’oserais dire avancé – je n’aurai probablement pas le temps de vous dire pourquoi – ça pouvait avoir des conséquences. C’est très rare qu’une chose qui se fait à l’Université puisse avoir des conséquences puisque l’Université est faite pour que la pensée n’ait jamais de conséquences. Enfin, quand on a pris le mors aux dents comme ça, comme c’était arrivé quelque part en 1917, ça aurait pu avoir des conséquences que Monsieur… déclare que le langage était une superstructure. On aurait pu se mettre par exemple à changer le Russe. Minute papillon, là le père Staline a senti que ça allait barder si on faisait ça. Vous voyez ça sous quelle forme de confusion on allait entrer. « Ne dites pas un mot de plus là-dessus ; le langage n’est pas une superstructure » ; en quoi il est d’accord avec Monsieur Heidegger : « l’homme habite le langage ». Ce que Heidegger veut dire en disant ça, ce n’est pas de ça dont je vais vous parler ce soir, mais vous voyez je suis forcé de faire le balayage devant le monument.


7 novembre 1955 [2]

Revenons donc posément à épeler avec la vérité ce qu'elle a dit d'elle-même. La vérité a dit : "Je parle". Pour que nous reconnaissions ce "je" à ce qu'il parle, peut-être n'était-ce pas sur le "je" qu'il fallait nous jeter, mais aux arêtes du parler que nous devions nous arrêter. "Il n'est parole que de langage" nous rappelle que le langage est un ordre que des lois constituent, desquelles nous pourrions apprendre au moins ce qu'elles excluent. Par exemple que le langage, c'est différent de l'expression naturelle et que ce n'est pas non plus un code ; que ça ne se confond pas avec l'information, collez-vous-y pour le savoir à la cybernétique ; et que c'est si peu réductible à une superstructure qu'on vit le matérialisme lui-même s'alarmer de cette hérésie, bulle de Staline à voir ici.


C’est en 1953 que Staline conseillera à Mao Zedong de ne pas alphabétiser la langue chinoise. Comment J. Lacan pouvait-il connaître en 1955 ces « détails » sinon par son « bon maître » P. Demieville qui en 1952 publie sa traduction de la Controverse de Lhassa, qui concerne les rapports entre le bouddhisme des Indes et son devenir chinois ? Le Chan, J. Lacan préférait dire le Zen.

Je souligne le Siècle des Lumières car c’est bien de là qu’il faut partir pour répondre à cette question : « Pourquoi J. Lacan a-t-il choisi d’apprendre le chinois en traversant la rue de Lille ? Il aurait pu choisir une autre langue. »


Compte tenu de son « background » chrétien, lui venant des meilleures écoles, de l’existence de son frère bénédictin (voir la règle de Saint Benoît, et la règle du Maître, règle de l’École qu’il fondera avec les meilleurs de ses élèves entre autres M. De Certeau [3])

Voici, alors, que s’avance son autre « bon Maître » : Baruzzi. Il publie en 1907 un livre concernant Leibnitz [4]


Comment J. Lacan n’aurait pas perçu « au biberon », l’importance des Chinois dans l’avènement du Siècle des Lumières ? Et tout spécialement de Leibnitz et son intérêt pour la langue chinoise ? J. Derrida a publiquement indiqué combien il regrettait de ne pas avoir étudié le chinois [5].


Un dernier mot sur l’au to éro tisme, une anecdote : En 1964 à Bonneval chez mon bon Maître Henri Ey.

Il me donne la responsabilité d’un pavillon, géré par des religieuses, il se pratique des séances hebdomadaires de sismothérapie, une religieuse tient les électrodes et c’est moi l’interne qui appuie sur le bouton qui déclenche la décharge électrique. Je n’ai jamais oublié la jouissance faciale de la religieuse. J’ai immédiatement décidé qu’il n’y aurait plus de tels chocs, sans en référer à H. Ey. Il m’a donné carte blanche.

Dans ce pavillon il y avait une toute jeune fille recroquevillée dans son lit. Son dossier indiquait hébéphrène, catatonique. La lecture des ouvrages du Maître par lait de substance jaune dans les urines. J’ai décidé de la sortir de son lit, progressivement elle accepta de venir faire le ménage chez moi, puis de s’occuper de notre bébé.

Je me suis ouvert au Maître des contradictions en ses écrits et ce que je constatais. Voici son inoubliable réponse : « Lisez les livres, ça vous aidera à passer les concours. Mais concernant cette jeune L. H, ce qui est important c’est ce qui se passe entre vous. Eros et Thanatos. »


À jeudi



[1] Atiq Rahimi. Syngué Sabour. Pierre de patience. P.O.L, 2008.


[2] Lacan J. (7 novembre 1955). « Amplification d'une conférence prononcée à la clinique neuro-psychiatrique de Vienne », in Écrits, Paris, Éd. du Seuil, 1966, p. 401-436.


[3] M. de Certeau, La Fable mystique (XVIe-XVIIe siècle), tome II, éd. Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1982, édition de poche TEL parue en 1987.


[4] Baruzi Jean, Leibniz et l'organisation religieuse de la terre, d'après des documents inédits, Paris, Alcan, 1907.

Baruzi Jean, Leibniz, avec de nombreux textes inédits, Paris, Bloud, 1909.


[5] J. Derrida, préface à un hommage à Lucien Bianco sous la direction de Marie-Claire Bergère, Aux origines de la pensée contemporaine, L’Harmattan.



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