Je prends pour canevas de mon propos le texte de Lacan « La science et la vérité » dans les Écrits.

Nous avons là déjà tout un programme, le sujet de la science avec Descartes, la vérité dans la science et la vérité en psychanalyse « moi la vérité je parle » et dans un dernier point la vérité comme cause : l’objet a « en causant tout l’effet » dit Lacan.

Je vais tenter d’articuler ces différents points.


Lacan dans ce texte revient dans un premier temps sur le statut du sujet dans la psychanalyse « le corréla essentiel de la science », la division du sujet freudien se fonde sur celle du sujet de la science à partir du cogito de Descartes.

Lacan dit avoir fondé le statut du sujet de la psychanalyse dans le séminaire L’Objet de la psychanalyse « nous avons abouti à établir une structure qui rend compte de l’état de refente, de spaltung où le psychanalyste le repère dans sa praxis ».

Pour comprendre ce fondement, il s’agit de repartir de la science moderne, c'est-à-dire de la mathématisation du réel et de l’expérimentation et des effets dans le monde de ce changement.

Qu’est-ce que le sujet de la science ?

La formulation du cogito de Descartes se situe dans la quatrième partie du discours de la méthode sous la forme du « je pense donc je suis » et dans la deuxième des Méditations métaphysiques : « je pense, j’existe ».

Descartes rejette systématiquement, méthodiquement tout savoir sur lequel il peut éprouver le moindre doute; c’est toute la tradition qu’il met entre parenthèses afin de s’assurer d’un principe qui résiste au doute, une vérité indubitable dont tout un chacun pourra faire l’expérience.

Dans les Méditations, l’existence du sujet est donnée comme une évidence résultant d’une expérience.

Ne m’avouerez-vous pas que vous êtes moins assuré de la présence des objets que vous voyez, que de la vérité de cette proposition : je pense, donc je suis ? Or cette connaissance n’est point un ouvrage de votre raisonnement n ni une instruction de vos maîtres vous aient donné ; votre esprit la voit, la sent et la manie.

(Descartes , Lettre à Newcastle, mars 1648)

La découverte du cogito, c’est la découverte du sujet pensant ou plus précisément un moi en tant qu’esprit.

Que dirai-je de cet esprit, c'est-à-dire de moi-même ?

(Descartes, Méditations II)

L’esprit ou l’âme c’est la chose pensante, res cogitans que l’on peut concevoir clairement, « qu’il n’y a rien qui me soit plus facile à connaître que mon esprit » (Descartes, Méditations II)

Descartes a fondé un certain type de structure subjective dans l’essence même du cogito, Freud et Lacan en destituent les fondements en faisant la preuve du caractère illusoire de la maîtrise toute puissante et unitaire de la res cogitans mais plus encore de son clivage : la division du sujet.

Qu’il y ait de l’inconscient veut dire qu’il y a du savoir sans sujet.

(Lacan, L’Acte analytique, p. 376)

Reprenons le cogito, Descartes s’appuie sur l’évidence d’une idée claire et simple, il recherche une certitude et non la vérité puisqu’il s’en décharge sur l’Autre c'est-à-dire Dieu garant des vérités.

Si nous ne savions pas que Dieu existe et qu’il n’est pas trompeur, nous ne pourrions avoir d’autre certitude que celle qui résulte d’une évidence présente et Descartes va jusqu’à dire qu’un athée ne peut être géomètre. Il faut établir la véracité divine pour donner sa portée au critère de l’évidence et la véracité divine intervient pour garantir la vérité des idées claires et distinctes. La véracité divine fonde la science en garantissant la permanence de la vérité. Il n’y aurait pas de science possible si la vérité d’un jour ne devait plus être la vérité du lendemain.

Lacan dans Les problèmes cruciaux pour la psychanalyse, leçon du 9 juin 1965, revient sur le cogito cartésien afin de montrer l’importance de ce moment comme définissant les rapports du sujet au savoir.

C’est le rejet de la vérité hors de la dialectique du sujet et du savoir qui est le moment fécond de la démarche de Descartes car s’il conserve l’assurance des vérités éternelles, il s’en débarrasse comme problème et par là la science institue le savoir qui n’a plus à interroger les fondements de vérité.

Le sujet de la connaissance suppose une non subjectivation de l’objet, une maîtrise de la connaissance par le sujet qui l’élabore, en ce qui concerne la psychanalyse cela signifierait que le sujet qui parle est strictement adéquat à celui qui connaît ; montre que ce qui est forclos avec la construction de la science, c’est la vérité du sujet.

« Le sujet est ce qui fait défaut au savoir » (leçon du 9 juin 1965), il s’agit de s’interroger sur le statut du sujet au temps de la science ?

Lacan dans l’article La science et la vérité (p. 858) justifie la rupture de Freud avec Jung quand celui-ci « restaure un sujet doué des profondeurs » c'est-à-dire « un sujet composé d’un rapport au savoir, rapport dit archétypique » de même qu’il critique la psychologie moderne (Lacan, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, leçon du 9 juin 1965) qu’il dit être faite pour savoir se comporter en structure capitaliste, c'est-à-dire que « l’homme » et non plus le sujet s’adapte aux lois du marché.

La découverte de Freud renverse la position cartésienne, « il y a un je pense qui est savoir sans le savoir » (9 juin 1965) le je pense n’a plus de rapport avec le suis, là où je pense, je ne suis pas, c’est au contraire dans les ratages, lapsus, symptômes que je trouve mon statut de sujet. C’est quand je m’y attends le moins que la vérité achoppe.

Ce n’est pas dans le rapport au savoir que je découvre la vérité mais dans la construction d’un symptôme. Mes pensées, fantasmes se construisent aussi comme si je voulais n’en rien savoir.

La science et la vérité

Simone Lamberlin


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