L'auteur travaille dans le service psychiatrique

de l'hôpital universitaire de l'Université du Sichuan


Avant de vous rendre compte du cas suivant, permettez-moi d’exprimer mes remerciements à Madame Pascale Hassoun, à Monsieur Michel Guibal et à Monsieur Frédéric Rousseau, à Madame Lucia Villela-Minnerly, à Monsieur Waud Kracke et à Monsieur Tylim, pour leur supervision et les discussions que nous avons eues à propos de ce cas, mes remerciements s’adressent aussi aux professeurs Liu Xiehe, Yang Yanchun, Zhou Ruyin et à tous les membres du centre psychanalytique de Chengdu pour leur aide et leur soutien dans l’étude de ce cas.


Le cas que je veux vous présenter est le premier cas qui m’a été présenté au printemps il y a deux ans au début de mon stage clinique dans le service psychiatrique de l’hôpital de l’Université du Sichuan. La patiente G. dont il est question dans ce cas est une jeune fille de quatorze ans venue d’un district du nord du Sichuan et dont les parents sont des paysans de niveau culturel peu cultivé. Elle est hospitalisée car depuis six mois elle tombe fréquemment et sans raison apparente en syncope avec perte de conscience durant environ une demi-heure. La première fois se produisit à la suite d’une intoxication alimentaire et de nombreux camarades d’école ressentirent des vertiges, des picotements et certaines même s’évanouirent. Mais, alors que les camarades étaient déjà guéris, elle continuait à tomber fréquemment en syncope. Elle avait été déjà hospitalisée pendant plus dix jours deux mois avant que je commence à travailler dans l’hôpital. Curieusement durant cette hospitalisation de dix jours, son état fut totalement normal et elle n’eut aucun évanouissement. Mais après la sortie de l’hôpital, elle recommença à tomber sans cesse en syncope. Ne pouvant plus régulièrement aller à l ‘école, ses parents décidèrent de soigner radicalement sa maladie avant de la renvoyer à l’école. Après avoir essayé en vain toute sorte de remèdes, ils décidèrent de l’hospitaliser de nouveau juste au moment où je venais d’entrer à l’hôpital.

Le diagnostic rendu par les psychiatres fut celui d’une tendance à l’hystérie, mais sans écarter une possibilité de l’épilepsie. Néanmoins, sa mère continuait de considérer que la syncope de sa fille résultait de l’intoxication alimentaire ne pensant qu’à obtenir une indemnité de la part du chef de la cantine de l’école, alors que ce dernier prenait déjà à sa charge les frais d’hospitalisation de sa fille.

Ma tache principale lors de ce stage étant consacré à la psychothérapie et considérant peut-être ma formation de psychanalyste, le médecin supérieur me fit prendre contact avec cette fille.

Lorsque je la vis pour la première fois elle me laissa l’impression d’une fille pas très jolie, mais, intelligente et vive. De plus, après avoir entendu qu’elle suivrait avec moi une psychothérapie, elle manifesta une attitude positive et coopérative, comme si elle savait ce qu’était une psychothérapie. Ceci me la rendit très sympathique.

Notre premier entretien se déroule dans de très bons termes, G. semble même très désireuse de m’informer l’état de sa maladie. Lors de mes questions et de mes remarques, elle fait un effort de mémoire pour faire-part de souvenirs rappelant l’avant et l’après de ses huit syncopes. À la fin de l’entretien, elle s’engage avec plaisir à continuer à se rappeler l’histoire de sa maladie et prend rendez-vous pour un deuxième entretien trois jours plus tard. Mais, le lendemain, lorsque je retourne à l’hôpital, un médecin me dit que G. a perdu connaissance hier après-midi, peu de temps après de notre entretien. De ces deux séjours hospitaliers, c’est la première perte de connaissance à l’hôpital.

Lors du deuxième entretien, je lui ai donc demandé comment s’était produit cet évanouissement. Elle m’a dit qu’après le rendez-vous précédent, une tante avait parlé avec elle au sujet de son pays natal et de son école. De retour dans sa chambre, elle sentit ses quatre membres s’affaiblir et perdit connaissance. Des souvenirs des évanouissements dont G. m’avait parlé au cours de nos deux entretiens, j’en avais conclu que dans la plupart des cas, ses évanouissements étaient en relation avec une colère provoquée par certaines choses, alors, à quoi était dû cet évanouissement de la veille ? Était-ce lié à notre rencontre ? Si tel en était le cas, que cela signifiait-il ? Je me posais ces questions sans y trouver de réponse.

Au cours de ce même entretien, j’en appris un peu plus sur la famille de : G. est l’enfant la plus jeune dans sa famille et a encore un grand frère de trente ans et un deuxième frère-aîné de vingt-huit ans. Son grand frère qui habite un peu plus loin a un garçon plus jeune d’un ou deux ans que G. qui s’entend bien avec ce neveu. Son deuxième frère-aîné qui habite un peu plus près, a deux filles dont l’une de cinq ans d’un premier lit vit avec G. depuis quelques années. G. prenant soin d’elle, toutes deux s’entendent très bien, le soir c’est elle qui avec sa nièce et la grand-mère dort ensemble. La fille du deuxième mariage a deux ans.

À la fin de l’entretien, elle m’a raconté le rêve suivant :

Je suis en train de manger avec mon père. Survient un Dragon-roi à l’air terrible. Et il a mangé mon père, j’ai une très grande peur.

Je la guide vers certaines associations. Et elle dit que le Dragon-roi lui rappelle celui du film le « Voyage vers l’Ouest » qu’elle a vu à la télévision la veille. Et elle ajoute que le Dragon-roi est laid et qu’elle ne l’aime pas.

Freud disait dans « Les études sur l’hystérie » que l’hystérique souffre d’un souvenir du passé et que ce souvenir est souvent lié au traumatisme sexuel. Alors, je me demande si elle est vraiment une hystérique, où est son trauma ? Et quel événement traumatisant s’est-il passé chez elle ? Et en considérant qu’elle est encore mineure et que sa parole encore insuffisante pour s’exprimer, j’ai pensé que l’on pouvait peut-être la laisser faire libéralement dessiner pour voir si elle pouvait exprimer symboliquement quelque chose par le dessin. Mais, je n’avais pas prévu qu’à cette proposition, elle paraîtrait si peu coopérative en me posant beaucoup de demandes : elle m’a demandé par exemple de faire également et chaque fois un dessin ou d’ajouter du texte à ses dessins. J’étais alors très embarrassé, mais je lui promis d’écrire une composition dont le titre, donné par elle, était « Être un médecin idéal », puisqu’elle était très curieuse à l’égard des médecins (peut-être de moi). Enfin G. fut d’accord pour dessiner. Maintenant, je me permets de présenter le processus thérapeutique au travers du fil de ses dessins.


Dessin 1 : « Le vieil arbre »

Elle a d’abord dessiné un grand pieu d’arbre, mais dit tout à coup qu’elle avait mal dessiné et que l’arbre ne devait pas être comme ça. Elle voulait le corriger, mais ne savait pas comment le faire. À la fin de l’entretien, elle dit qu’elle ne voulait plus dessiner et espérait parler avec moi de sa maladie. Je lui répondis que l’on pourrait en parler la prochaine fois. À la suite de cette promesse elle acheva son dessin. Lors du quatrième entretien, elle apporta son dessin fini en expliquant : c’est un vieil arbre qui a été scié et sur lequel ont poussé maintenant, à nouveau, des boutons et il y a, dans le ciel, quatre hirondelles qui, fatiguées de leur vol, se reposent sur le petit arbre de droite et regardent ce grand arbre sur lequel elles s’étaient posées par le passé.


Dessin 2 « La famille du papillon »




G. a d’abord dessiné une bordure sur les quatre côtés, puis, respectivement quatre papillons dans les quatre angles et un grand papillon au centre. Elle a ensuite fait un dessin décoratif en me disant qu’elle avait pris pour modèle la décoration du sofa. Je lui ai demandé pourquoi le papillon au centre est-il plus grand et s’il était la mère papillon ? Elle exprima son accord après avoir un peu réfléchi.

Je lui ai demandé alors où était le père papillon ? Après m’avoir écouté, elle pensa qu’il fallait certaines corrections, elle effaça aussitôt le dessin décoratif à droite du papillon se situant au centre en y rajoutant un papillon. Après ce rajout, elle pensa devoir écrire dans la gauche du dessin quelques caractères. Elle écrit donc les quatre caractères suivant : 万事如姻 wànshì rú yīn, « dix mille choses seront comme l’alliance ». Elle dit que le sens de ce wànshì rú yīn est bien le même que celui de wànshìrúyì 万事如意 « dix mille choses seront selon vos souhaits ». C’est-à-dire que le sens de « dix mille choses seront comme l’alliance » est bien le même que celui de « dix mille choses seront selon vos souhaits ». Et elle sait également que ce que « dix mille choses seront selon vos souhaits » signifie « tout va très bien ».

Je suis frappé alors à la lecture de ces quatre caractères, car une telle expression n’existe pas dans nos proverbes. Je lui ai donc demandé le sens du caractère yīn, car celui-ci s’utilise en chinois dans les termes 婚姻 hūnyīn, « mariage » et 姻缘 yīnyuán, « union prédestinée de deux époux ». J’écris ces deux termes pour les lui montrer. Elle dit qu‘elle ne comprend pas ces deux termes et que si elle l’a écrit ainsi, c’est que ses camarades de classe l’écrivent ainsi. Puis, elle me dit encore « Si tu penses que cela doit être "dix mille choses seront selon vos souhaits", alors corrige-le ». Je suis alors perplexe et j’ai vraiment du mal à imaginer comment ses camarades de classe pourraient se tromper sur l’usage de ce caractère.


Ensuite, G, très appliquée, a commencé à lier toutes les parties du dessin entre elles. Je la questionne : « Ces papillons sont-ils de la même famille ? » « Oui », répond-elle. Elle trouve cela très joli de les relier par un fil : cela fait une famille harmonieuse. Je l’ai interrogée : « Et, ne penses-tu pas que ta famille est-elle aussi parfaite ? » Elle approuve, mais pas tout à fait, car le deuxième frère-aîné n’est pas assez raisonnable, il ne fait pas montre d’autant de piété filiale que le grand frère à l ‘égard de ses parents, il ne prend pas assez soin de sa nièce (première fille de ce frère) et de ses parents. G. insiste ensuite pour que je l’aide à écrire 胡蝶家庭 húdié jiātíng, « G. ou la famille du papillon ». Je l’écris. Elle en est très satisfaite et dit que c’est bien écrit. Elle est d’accord pour continuer à dessiner ce qu‘elle pense dessiner et ajoute qu’elle n’aura plus à mon égard d’exigences supplémentaires.

Puis, après un certain temps d’hésitation, elle me rapporte le récent rêve suivant :

Je suis avec mon deuxième frère-aîné, ma belle-sœur, papa et maman à la maison. Maman dit à papa « Tu ne dois pas te prendre pour un géant ! » Puis, la scène change, nous marchons dans la rue. Un mendiant arrive soudain et saisit papa par la main, papa a donc disparu et j’ai une grande peur. À ce moment-là la scène change de nouveau : moi et trois autres amies sommes en train de courir après quatre canards dans la rizière. Puis, je me suis réveillée. 

Elle dit du mendiant qu’il semble être très âgé comme son papa, mais un peu  moins âgé que son papa. Je sais que c’est son père qui l’accompagne toujours à l’hôpital et il ressemble effectivement à un mendiant.


Dessin 3 « Le vase de fleurs »

Je lui ai demandé pourquoi elle avait dessiné un vase de fleurs. Elle me répond qu’elle ne sait pas et l’a fait en suivant simplement sa pensée et qu’il y avait chez elle des vases de fleurs mais que tous ces vases étaient cassés. En ce qui concerne le motif sur le vase, elle dit qu’elle ne sait pas non plus de quoi il s’agit, tout a été dessiné sans réfléchir. Je lui demande si le dessin à gauche sur le vase ne représente-t-il pas un serpent. Elle confirme après un temps de réflexion. Je lui demande de nouveau le sens de « vente aux enchères ». Elle dit qu’elle ne le sait pas. Je lui demande où a-t-elle appris ce terme de « vente aux enchères », n’est-ce pas à la télévision ? Elle dit qu’elle ne s’en souvient pas. Je lui dis « est-ce que "vente aux enchères" signifie que l‘on vend un objet à celui qui paie le plus ? » Elle a répondu que c’est peut-être ce sens.








Dessin 4 « Une fillette en train d’étudier »

La fille dessinée l’a été avec l’aide d’une infirmière, tandis que la lampe à côté et les quatre caractères à gauche « bien étudier », ont été ajoutés par elle. Le psychothérapeute a demandé : « Cette fillette c’est toi ? » G. dit en souriant « Peut-être ».



Dessin 5 « La bouteille thermos »

Une bouteille thermos posée sur la table, le quadrillage sur la table c’est la nappe, à côté de la tasse se trouve son couvercle. La vapeur qui se dégage de la tasse a été ajoutée par le psychothérapeute à la demande de G.










Dessin 6 « Une fillette »

Elle dit que cette petite fille, jolie et gentille, est sa plus chère amie, elle est plus jolie qu’elle, elle est parfaite et c’est le modèle qu’elle suit.




Dessin 7 « Le lotus »

Sont dessinées des fleurs et des feuilles de lotus avec des gouttes de rosé sur ces dernières. Elle dit qu’auparavant dans son pays natal à la campagne, il y avait un étanG. avec des lotus c’était très beau. Le psychothérapeute lui demande ce que symbolise la fleur de lotus. G. dit qu’elle ne le sait pas. Le psychothérapeute dit : « Ne symbolise-t-elle pas la pureté ? » G. approuve en hochant de la tête.


À chacune de ces discussions à propos des dessins, je tente d’en savoir plus au sujet de son histoire au travers de ses propres interprétations et associations. Au fur et à mesure du déroulement de la cure. G. parle petit à petit de son vécu et de choses concernant sa famille. Sa grand-mère paternelle n’aime pas beaucoup son père et préfère les deux frères de son père. Les coups répétés sur ses oreilles dès son enfance l’ont rendu sourd. Lorsqu’elle était petite, sa famille était très pauvre, lorsqu’il y avait du riz à la maison la grand-mère qui avait du riz ne voulait pas en donner au frère aîné. Cependant, sa grand-mère se comportait bien avec elle et l’attendait toujours à la maison lors qu’elle rentrait de l’école. L’an dernier, elle pleura au moment de la mort de sa grand-mère. Son grand-frère est très compétent et possède un bon niveau technique, son deuxième frère-aîné a beaucoup appris à ses côtés et travaille actuellement dans le Sud. Lorsqu’elle était petite, les grands frères jouaient et plaisantaient souvent avec elle et elle se souvient de cette période qui la rendait très heureuse. Je ressentais au cours de ces conversations combien G. n’était pas très satisfaite de sa vie actuelle et qu’il y avait une sorte d’attachement à son passé.


Lorsqu’elle eut terminé son septième dessin, nous en étions déjà à la dixième séance de psychothérapie. Selon les documents, dessins et rêves, que j’avais recueillis, j’avais fait les quelques hypothèses suivantes.

Par exemple : l’arbre bizarre dans le premier dessin qu’elle avait dit avoir dessiné de façon erronée me conduisit à me demander s’il ne s’agissait pas d’un acte manqué, si cet arbre ne symbolisait pas un autre objet, les organes reproducteurs masculins, par exemple. N’avait-elle pas été peut-être traumatisée par quelque chose qu’elle ait vu quelque part ?

Le dessin décoratif se trouvant dans le deuxième dessin et celui ayant la forme de serpents dans le quatrième dessin, m’ont fait penser à des ovules et à des spermatozoïdes illustrés tels qu’on pouvait voir dans les manuels de physiologie. Par ailleurs, dans le dessin sur la vente aux enchères de vases, le vase de fleurs me rappelait cette appellation donnée fréquemment à une belle femme. D’ailleurs, le caractère chù, « local » de « vente aux enchères » désigne non seulement un « local » ou un « endroit », mais aussi 处女 chǔnǚ, « vierge ».

Tout cela me semblait impliquer quelque chose relatif au sexe, y compris bien entendu cette expression bizarre selon laquelle « dix mille choses seront comme l’alliance », si tant est que j’en aie bien compris le sens.

Par ailleurs, la relation entre elle et son père avait également attiré mon attention, non seulement ses deux rêves avaient un rapport avec son père et le vieil arbre dans le premier dessin me fit également penser à son père. N’y avait-il pas eu des histoires entre elle et son père ? Néanmoins, les matériaux concernant sa vie et l’histoire de sa famille sont encore trop peu nombreux, pour avancer davantage dans mes hypothèses ; je ne pouvais qu’attendre.

Ce qui doit être mentionné, c’est le changement notable apparu dans la toilette de G. avec l’apparition de quelques ornements à la mode, le portable, par exemple. Et G. semblait aussi être plus heureuse ; elle donnait une image d’elle proche du personnage du sixième dessin. Cependant, je n’avais pas alors porté une attention particulière à ces changements.

De plus, il lui a aussi été administré des traitements médicaux, des médicaments, mais aussi des essais de traitement par l'hypnose, méthode fréquemment utilisée pour le traitement de l’hystérie dans notre service psychiatrique. Mais, à chaque réveil, G. pleurait et criait de toutes ses forces. Cela lui semblait très pénible, et il fallait l’intervention d’un de ses proches ou d’une infirmière pour la calmer.

En outre, les conditions d’hébergement des malades sont difficiles. L’hôpital où je travaille est un hôpital très ouvert, les malades ne sont pas séparés en fonction de l’âge ou du sexe. La plupart d’entre eux sont porteurs de névroses, d’autres sont des psychotiques légers. Peu après l’hospitalisation de G., B., un garçon de treize ans, est entré dans notre service suite à des réactions de terreur survenues après avoir été frappé par des voyous. Il est traité pour trouble aigu. La chambre de G. est en face de celle de B. Peu après avoir fait connaissance, tous deux ont rapidement commencé à jouer ensemble.


Je fus alors obligé d’interrompre la psychothérapie avec G. pendant un certain temps pour participer à un colloque. Je pense pouvoir nommer premier stade de la psychothérapie le processus décrit ci-dessus.


Dix jours après, je revenais et reprenais le travail avec G. Elle me dit au cours de ce premier entretien après mon retour qu’elle a eu plusieurs évanouissements pendant mon absence et que son état ne semblait pas connaître d’amélioration. Elle nous a demandés s’il n’y avait pas de meilleur moyen pour lui faire recouvrer la santé plus rapidement. Par ces remarques, j’éprouve moi-même une certaine pression, mais, il n’y a pas d’autre moyen que de continuer à la faire parler de son histoire. Les dessins 9 et 10 ont été faits par elle durant mon absence. Regardons-les.


Dessin 8 « La montre »

Ce dessin a été exécuté bien avant qu’elle le montre à son psychothérapeute, elle le trouvait trop vilain. Je lui ai demandé si cette montre n’était pas une montre d’homme ce qu’elle confirme et j’ajoute « à qui est-elle cette montre, c’est à ton papa ? » et G. reconnaît en riant qu’elle l’a dessinée en regardant la montre sur le poignet de son papa alors qu’il s’était endormi.


Dessin 9 « Les quatre arbres »

Elle dit que ces quatre phases représentent le processus de sa maladie et qu’elle se trouve actuellement dans la phase du « fruit ». Ensuite ce sera la phase de la chute des flétrissures qui signifiera que sa maladie est totalement guérie. Je lui ai demandé s’il était possible par ce dessin de comprendre les quatre phases de la pousse, de la fleur, du fruit et de la flétrissure, représentant respectivement les quatre phases de la vie, l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et la vieillesse ? Elle est d’accord avec cette interprétation. Je lui ai demandé « alors, dans quelle phase te trouve-tu maintenant ? » G. a répondu qu’elle n’en était pas sûre, peut-être dans la phase de la fleur.


C’est à mon retour, lors de ce premier entretien, qu’elle a divulgué pour la première fois un peu de l’histoire de ses parents disant que ceux-ci se querellaient souvent, sa mère était généralement très méchante, mais, quelques fois, son père, en colère, l’avait battue brutalement en la retenant sur le lit. Elle se souvient qu’un certain temps avant sa maladie, son père avait ouvertement parlé de divorce, ce qui la rendit très anxieuse, leur disant : « Si vous divorcez, je me suiciderais ». À ces mots, elle prit un air imposant indiquant qu’elle ne souhaitait pas parler de tout ça, et me demanda s’il était possible que je la questionne sur d’autres sujets ?

Ses difficultés et ses esquives à l’égard de ce sujet me firent penser que la thérapie avait commencé à toucher un point pivot et que nous n’aurions besoin que de temps pour réunir plus de matériaux.

Or, à ce moment, on commença à me parler des histoires qui se passaient entre elle et le jeune garçon, particulièrement un soir où tous les deux étaient absents de leurs chambres jusqu’à minuit lorsqu’ils ont été retrouvés ensemble par leurs parents au dernier étage. Je n’y ai pas au début prêté une grande attention jusqu’à l’apparition de certains changements qui s’étaient produits du point vu de style et du contenu dans ses dessins.



Dessin 10 « Les chaussures »

Elle dit qu’elle les a dessinées d’après les chaussures qu’elle portait par le passé. Le psychothérapeute lui demanda « pourquoi dessiner des souliers », ce à quoi elle répondit qu’il n’y avait pas de cause précise.






Dessin 11 « Les bambous »

Elle explique que les objets larges sont des feuilles. Je lui ai demandé pourquoi deux bambous, ce à quoi elle répond qu’elle ne pensait pas autant lorsqu’elle était en train de dessiner. Elle dit encore qu’avant elle n’osait pas dessiner au stylo, mais, que maintenant, elle osait le faire et trouvait cela très joli.


Dessin 12 « La télévision »

Elle dit qu’elle l’avait dessinée d’après sa petite télévision. Les deux souris sur l’écran de la télévision sont le fruit de son imagination car la souris est facile à dessiner. Elle pense que ces deux souris doivent être de bonnes amies, qu’elles ont peut-être été attrapées par le chat. Mais encore, elle ne pensait pas autant en dessinant.

Le dessin 12, particulièrement, me fit immédiatement penser que les souris attrapées devaient représenter elle et le jeune garçon. Je me souviens qu’au cours de plusieurs séances, j’avais essayé de la questionner au sujet de son histoire avec B. et elle disait toujours qu’elle n’aimait pas B. à cause de ses mauvaises habitudes et que B. l’importunait toujours. Bien que je sente qu’elle ne me disait pas forcément la vérité à ce sujet, la raison essentielle était que cette histoire entre elle et B. n’avait pas soulevé mon enthousiasme au cours de la thérapie. Je souhaitais en écouter davantage au sujet de l’histoire de sa famille pour pouvoir supposer son propre événement traumatique.

Au cours de cet entretien, G., pour la première fois, raconta davantage d’histoires passées entre elle et ses parents ces dernières années.

Elle vivait avec ses parents depuis sa naissance. Petite elle était très attachée à sa mère qui non seulement l’accompagnait encore à l’école en première année, mais aussi suivait les cours sur le côté et prenait même des notes pour elle. G. semblait très gênée de me dire tout ça. Cependant, un jour, en deuxième année de l’école primaire, ses parents la trompèrent en l’envoyant entasser du riz. À son retour à la maison, sa mère avait disparu, elle se sentit blessée et pleura très longtemps. Elle ne sut que plus tard que sa mère était allée en ville pour y travailler. C’était la première fois de sa vie qu’elle quittait sa mère. Sa mère ne revint qu’une demi-année plus tard, mais repartit quelques jours plus tard. Cette fois-ci, durant environ deux années, elle resta avec son père. Entre-temps, celui-ci allait en secret en ville pour voir sa mère sans le lui dire. Plus tard, sa mère les fit venir son père et elle en ville.

Elle trouvait que sa mère, après ce séjour en ville, n’était plus la même personne, elle était devenue violente et réprimandait fréquemment son père sans aucune raison. G. en était très triste en pensant que son père était trop gentil et plaidait souvent en sa faveur. Bien que l’argent gagné fût celui maman, papa avait eu dans sa jeunesse un travail manuel très pénible, et maman ne devait pas se comporter de cette façon ! Plus tard, elle vit souvent ses parents se quereller et même se battre. Chaque fois, elle les exhortait à faire la paix et se souvint de deux bagarres très violentes qui la firent se mettre elle-même en colère jusqu’à aller frapper sur la table. Mais, elle sentit qu’après être tombée malade, sa mère s’était déjà corrigée à soixante-dix pour cent. Cependant, elle préférait la compagnie de son père qui était plus tendre et plus attentif. Elle pense aussi que le grand frère et la grande belle-sœur et le deuxième frère-aîné et la deuxième belle-sœur s’entendent sentimentalement très bien entre eux et que si ses parents s’entendaient bien, ce serait la perfection.

J’étais très heureux d’avoir obtenu ces matériaux qui dans l’ensemble venaient compléter les lacunes de l’histoire récente de sa vie, bien qu’il y eût sûrement de nombreux détails et événements qui m’étaient encore inconnus. Ce qui m’intéressa en particulier, fut le changement au sein de sa famille. La relation entre ce changement familial ainsi que la crise maritale de ses parents et ses symptômes n’était pas encore clair, mais je sentais encore cachées derrière tout ça d’autres histoires.


Dessin 13

Lors du quatorzième entretien, elle apporta un nouveau dessin. Elle reconnaît que l’hirondelle c’est elle-même. Dans le dessin, il est écrit :

J’étais à l’origine une hirondelle joyeuse qui volait librement dans le ciel (voler dans le). Mais, je ne peux plus du tout voler maintenant, car de la tête aux pieds je suis couverte de blessures, même mes ailes sont brisées. À l’origine je volais librement dans le ciel, mais maintenant, je suis devenu un oiseau inutile (après ses blessures il ne peut plus voler). Cependant, J’ai de grandes espérances envers moi-même, ne vois-tu pas que j’ai déjà recommencé à voler ? (Pourtant, j’ai maintenant retrouvé mon moi libre.)


Elle estime se situer encore dans une phase de la maladie, mais pense pourtant qu’elle pourra recouvrer la liberté.

Ensuite, elle m’a dit qu’elle s’était de nombreuses fois évanouie et qu’elle n’en connaissait pas la raison. Elle se montra préoccupée en disant que le traitement n'avait pas eu de résultat, mais qu’une fois sortie de l’hôpital, son hospitalisation serait payée par l'assurance qui prenait en charge son traitement jusque-là et ne tenu à payer s’il y avait un nouveau problème. Tout serait donc à charge de sa famille. Celle-ci avait déjà beaucoup dépensé pour soigner sa maladie.

Elle dit qu’elle se sentait désolée à l’égard de ses parents que sa maladie avait tant inquiétés et fait tant dépenser. Elle ne souhaitait à l’origine que bien faire ses études pour les payer de retour, mais dans la situation actuelle elle n’en avait plus les moyens. Elle s’était bien efforcée de se dire à elle-même qu’il ne fallait plus s’évanouir, mais cela n’avait servi à rien. Elle estimait que si elle n’avait pas été malade, ses parents auraient été heureux et satisfaits.

Mais lorsque je lui suggère que ses parents se querellent déjà avant sa maladie, elle répondit que c’était un autre problème qui n’avait pas de rapport avec sa maladie. Elle eut encore aussitôt un air imposant disant que c’était comme un nœud dans son cœur, un problème difficile, complexe comme La Pagode de Leifeng. Elle dit aussi qu’elle en avait parlé de nombreuses fois de ce problème avec le psychothérapeute et qu’elle ne souhaite plus en parler. Elle dit qu’elle ne savait plus quoi dessiner et que bien qu’elle ait fait beaucoup de dessins, il lui semblait ne pas pouvoir exprimer complètement ses sentiments profonds, mais que pourtant elle avait pu exprimer certains sentiments. Je lui dis que je ne la forcerais pas à dessiner de nouveau. Elle pouvait dessiner si elle le souhaite ; si elle ne le souhaite pas, elle pouvait ne pas dessiner. Elle dit aussitôt qu’elle était maintenant en train de penser à certaines choses et qu’elle se préparait à les dessiner après l’entretien.

Lors d’un entretien précédent elle m’avait dit qu’elle souhaitait composer un dessin, mais n’arrivait pas à le dessiner. Aussi, lorsque je l’entendis dire qu’elle y avait pensé et qu’elle était prête à le faire, j’en fus très heureux dans l’espoir de pouvoir trouver une brèche thérapeutique dans le dessin qu’elle apporterait lors du prochain entretien.

Or, à ce stade de la thérapie, les conditions d’hébergement des malades étaient également devenues plus difficiles. D’une part, par rapport à des maladies comme l’hystérie pour laquelle il n’existe pas de méthodes effectives de soin, l’hôpital ne souhaitait pas les garder trop longtemps ici. D’autre part, la mère de G. insiste pour que sa fille ne sorte pas de l’hôpital, à moins que l’hôpital ne lui remette une attestation pour qu’elle continue d’obtenir auprès de l'assurance un droit à indemnité.

Plus ennuyeux encore est le fait que G. et B soient tous les jours ensemble et que leurs symptômes deviennent de plus en plus ressemblants, tous les deux s’évanouissent alternativement comme s’il y avait entre eux une suggestion réciproque. Ce comportement nous amène très facilement à penser à la recherche d’un profil de caractère symptomatique, ces symptômes leur permettant de séjourner à l’hôpital et de rester ainsi ensemble. Les parents des deux enfants sont également des paysans pour lesquels il est très difficile de comprendre qu’un problème psychique puisse conduire une réaction corporelle. Ils en viennent naturellement à se plaindre des médecins et perdent confiance constatant que l’état de leurs enfants ne s’est pas visiblement amélioré. La mère de G. a demandé à me voir à plusieurs reprises. Elle pense que les évanouissements à répétition de sa fille signifient qu’à la suite de l’intoxication alimentaire, des toxines sont entrées dans son cerveau. Je lui explique que la maladie de sa fille n’est pas liée à l’intoxication alimentaire, mais a une cause d’ordre psychique; mais elle n’arrive pas à le comprendre.

J’ai pensé à ce moment-là que G, à l’exception de sa relation thérapeutique avec moi, doit également affronter de nombreuses autres relations dont celles avec le jeune garçon B, les parents des deux côtés, son psychiatre responsable, le directeur des chambres de malade, etc.. Bien sûr, je dois moi aussi les affronter.

Aussi, le directeur du service de malades névrosés a réfléchi d’un point de vue global à partir de cette situation et après en avoir discuté avec les parents des deux parties, a pris la décision de faire sortir le jeune garçon de l’hôpital dans un premier temps, pour qu’il n’y ait pas d’interférence dans la thérapie à l’égard de G. J’ai pensé alors que l’on pouvait agir de la sorte. Mais, nous n’aurions pu penser que cette décision entraînerait une fin inattendue à la thérapie : lors que G. découvrit que B. était déjà sorti de l’hôpital, elle fit des scènes pour sortir aussi de l’hôpital et se heurta bien sûr au refus de ses parents et des psychiatres. Une heure plus tard G. commença à perdre la mémoire, ne reconnaissait plus les psychiatres, elle appelait son père « oncle » et sa mère « tante ». Néanmoins elle put recevoir normalement un appel téléphonique probablement de B. 

J’étais alors absent de l’hôpital, et le lendemain, lorsque j’allais la voir dans la chambre, elle dit qu’elle ne me connaissait pas. Je lui demandais si elle savait qui était B. et elle répondit par la négative. Je lui montrais les dessins qu’elle avait dessinés et elle dit ne pas savoir qui les avait dessinés, mais elle pouvait néanmoins lire les caractères écrits. Je lui dis que c’est une certaine G. qui les avait dessinés. Elle me demanda qui est G. et si elle pouvait la voir, car elle était une fille très raisonnable, très habile et savait prendre soin de ses parents, alors qu’elle ne savait rien faire. Sa mère me dit qu’elle avait même eu des conduites anormales comme d’uriner en public dans un restaurant.

Face à ce brutal changement, il me fut très difficile de décrire mes sentiments propres. Je me souviens avoir soigneusement observé ses réactions de toutes sortes qui m’ont donné l’impression qu’elle savait très clairement ce qui se passait autour d’elle. J’espérais ainsi qu’elle pourrait rapidement se relever de cette amnésie de caractère hystérique qui lui était soudainement arrivée, en pensant également que ces manifestations produites lors des moments d’amnésie m’offraient des matériaux plus efficaces pour comprendre ses symptômes et continuer la psychothérapie avec elle. Mais, sa mère avait déjà perdu patience et la fit sortir de l’hôpital deux jours plus tard.

Plus tard, je réfléchissais sans cesse à quels étaient ces éléments qui avaient pu influer la thérapie ? Mais je pense que l’on aura remarqué que jusqu’à ce point de mon intervention, je n’ai pas encore répondu à la question posée dans mon titre « Le transfert dans l’hôpital psychiatrique ». Je n’ai justement pas pu accorder une attention suffisante à cette voie du transfert au cours de la psychothérapie, bien que cet évanouissement après m’avoir vu, m’ait fait penser que cela était peut-être une manifestation du transfert. Mais, la fin de ce cas, ce départ de B. qu’elle n’avait pas pu affronter, m’amène à réfléchir après coup sur ce cas, du point de vue du transfert. Si l’on considère la relation entre elle et B comme une forme de manifestation du transfert, de nombreuses choses deviennent alors discutables, par exemple quel rapport y a-t-il entre la relation d’elle et B. et celle du transfert entre elle et moi ? Et quelles relations entre tout ceci et les sentiments qu’elle a à l’égard de son père ? Bien entendu, plus particulièrement quel est ce transfert à mon égard en tant que psychothérapeute ?

De nombreuses choses furent soudainement et nouvellement comprises après de multiples réflexions au lendemain de ces faits. Par exemple, elle utilisait « La pagode Leifeng » pour qualifier son nœud interne; c’est au moment de la préparation de cette intervention que je pensais tout à coup que dans la tradition de la littérature orale, « La pagode Leifeng » est un endroit où le moine Fahai ou La mer de la Loi avait mis en prison la fée Bei Niangzi ou La jeune dame blanche pour empêcher l’union entre elle et un homme ordinaire du nom de Xu Xian ou Immortel Xu. Il s’agit ici du symbolisme du désir amoureux entravé et de l’impossibilité de l’accomplissement de ce désir. Il est encore de nombreux détails et explications dont en raison du temps limité je ne peux vous parler. Néanmoins, je reste désireux d’entendre votre point de vue au sujet de ce cas et en particulier vos critiques et conseils.

 

Le transfert au sein de l’hôpital psychiatrique

Zheng Yu


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