24 juin 2005



Bonjour à tous !

Je suis nouveau en France et je suis vraiment honoré d’être invité à vous parler de ce que je pense de la psychanalyse par rapport à la tradition chinoise, autrement dit, de leur position l’une par rapport à l’autre. Peut-être n’y a t-il pas de vraie relation, parce que la psychanalyse a été crée par S. Freud dans la langue allemande et à Vienne, c’est une chose totalement étrangère, très lointaine, pour moi, et peut-être pour les autres chinois aussi, au sens géographique et linguistique.

Mais, dans les choses étrangères, on peut retrouver des choses familières, particulièrement, des choses refoulées personnellement ou collectivement. Je m’intéresse beaucoup au mot allemand « unheimlich », parce que, je crois, il représente des expériences analytiques en Chine, sur le divan ainsi que dans la relecture du texte chinois.

En effet, la psychanalyse a été introduite en Chine il y a près de cent ans. Le terme psycho-analyse, inventé par S. Freud, se traduit en chinois comme « jingshen fenxi »精神分析, dans lequel « jingshen » 精神 est le psychique et « fenxi »分析 est l’analyser. Je voudrais commencer mon intervention par une discussion brève sur cette traduction, particulièrement, sur le mot « jingshen » 精神 par rapport à la tradition chinoise du psychique et de la parole.


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Le mot « jingshen » 精神, un mot en chinois moderne, signifie le psychique du sujet humain, l’essence, et la vigueur. Avec ce mot, on a des associations comme l’âme qui crée et préside le penser et le comportement qu’on ne comprend pas à l’intérieur de nous, mais qui construit l’essence de la vie humaine comme le riz pour la vie chinoise.

Aujourd’hui, le mot « jingshen » est lié souvent avec un autre mot « jingshen bing »精神病, la maladie mentale ou la psychose, et cette proximité fait naître plus de mystère et de sentiment d’effroi à l’égard du symptôme psychique et de l’attitude envers la pratique de la psychanalyse.

En chinois classique, les mots « jing » et « shen » sont deux mots indépendants. Par exemple, dans le livre de médecine qui s’appelle Huangdi Neijing 黄帝内经, le plus dominant dans l’histoire médicale en Chine, se trouve la phrase suivante :

        Fan ci zhi fa, xian bi ben shen

        之法,先必本于神

        La pratique d’acupuncture se fait d’abord par le shen ou en fonction du shen.


Une autre phrase qui dit :

        Gu sheng zhi lai wei zhi jing, liang jing xiang bo wei zhi shen

        故生之来谓之精,两精相搏谓之神

        L’origine de la vie s’appelle jing,

            et la combinaison du jing chez l’homme et celui chez la femme s’appelle shen.


Ici, les médecins chinois anciens discutaient le jing et le shen ensemble avec un ordre dans lequel le mot « jing » se met avant le mot « shen » ressemblant au mot « jingshen » en chinois moderne. Ils pensaient que le jing est l’essence ou l’origine de la vie, particulièrement le sperme et l’ovule, la combinaison de celui-là et celui-ci construit ce qu’on appelle l’esprit ou l’âme. Ici, selon la médecine chinoise, l’activité psychique et la pratique de la sexualité sont « combinées ». Le verbe « bo » signifie combiner, mais à l’une manière très dynamique, vivante, forte ou sauvage en un sens. J’ai trouvé que c’est très intéressant. En effet, dans le même livre, la sexualité est conçue comme étant à l’origine de toutes les maladies. Logiquement, la pratique de la sexualité produit la vie et l’âme. Si on la pratique hors du tao, c’est-à-dire, hors de la loi naturelle et humaine, elle produira la maladie. En fin, pour soigner la maladie il y a la médecine chinoise.

Mais, qu’est-ce que c’est le tao ? Particulièrement, quelle relation existe entre le tao et le mot « shen » ?

Le caractère pour « shen » se construit en deux parties. La gauche est l’autel () qui indique l’action cultuelle, et la droite est la foudre et l’éclair qui indique le pouvoir du ciel. Donc le mot « shen » signifie “Dieu” qui crée et préside le monde et toutes les choses mystérieux.


Au commencement (1562–1066 avant notre ère, qui s’appelle la dynastie des Shang), le ciel était divinisé en Chine comme Dieu en Europe, en effet, souvent on disait « tian-di » 天帝, ciel-dieu, ou dieu au ciel, dieu dessus. Simplement, on disait « di » ou « tian » pour « tian-di ».

Particulièrement c’est le tonnerre qui était divinisé. Le dictionnaire classique premier, qui s’appelle Shuowen jiezi 说文解字, nous a donné deux explications pour le mot « di », dont l’une est écouter, et l’autre est l’appel qui règne sur le monde. En effet, le caractère pour « di » dessine un petit fagot qu’on brûle pour adorer et écouter l’appel du tonnerre du ciel.

De là vient le taoïsme, dont le concept central est le tao, qui représente la voix et la voie, ou la parole, l’acte de parler et le chemin, donc le tao est ce qu’on suit comme la loi. Lao Zi, le taoïste le plus célèbre, a distingué deux paroles, dont l’une est celle dans la vie quotidienne, et l’autre est le tao qui ne peut pas se dire en la manier ordinaire. Dans la tradition de la pensée chinoise il y a toujours quelque chose qui ne peut se dire mais constitue la vérité aussi bien individuelle qu’universel.


Avec le confucianisme il y a une différence. Pour Confucius (551-479 avant notre ère), le ciel ne dit rien. Cette tradition se trouve dans le livre qui s’appelle Yi-Jing 易经 ou Classique du Changement, selon lequel le ciel ne parle pas mais il y a son signe que l’on l’interprète. Mais Confucius parlait beaucoup avec ses disciples, il avait un enseignement de la parole.

Cette tradition d’enseignement de la parole se radicalise dans la pratique bouddhiste en Chine, particulièrement dans la dynastie des Tang où les maîtres du zen essaient suivre Bouddha en s’affranchissant de sa pensée écrite, donc il y a plus de liberté donnée à la parole de l’individu. On joue sur les mots, on parle contre ce que Bouddha a dit, et parfois on rencontre une surprise imprévue avec laquelle on a une révélation totalement personnelle sur la vie et la mort.

Le bouddhisme est la première système de la pensée et la pratique étrangère qui est introduit en Chine. Après Matheo Ricci il y a la deuxième introduction systématique d’une autre civilisation, c’est-à-dire, la civilisation européenne, inclut la science, la technique, la philosophie, la politique, parmi lesquelles se trouve la psychanalyse.



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Pour réfléchir à la relation de l’introduction de la psychanalyse en Chine par rapport de celle du bouddhisme, nous nous occuperons d’une autre traduction, c’est dire, « wu yishi » pour Das Unbewusst.

Le terme « wu yishi » 无意识 se construit en deux parties. La deuxième « yishi »意识, c’est le conscient. La première est « wu » qui fonctionne comme le préfixe in- dans le mot français « inconscient », et il est aussi un des concepts vraiment les plus essentiels dans la tradition de la pensée chinoise en général et dans la tradition du taoïsme en particulier,

En effet, le mot « wu » , qui veut dire « le rien », ou « le vide », comme dans le nihilisme, qui s’associe souvent avec la tradition taoïste et bouddhiste. Une phrase dans le zen bouddhisme est très célèbre en Chine,

Il n’y a que rien

D’où vient le mal ?


Il est possible que les intellectuels chinois aient mal entendu la pratique bouddhiste en mettant beaucoup d’attention au concept « Rien » sans mettre assez d’attention à l’autre concept « samskara ». Le concept « samskara » s’inscrit dans le rien. Il représente ce qu’on fait par le corps, la bouche et le conscient, et devient la cause de notre futur. De là viennent tous les enseignements bouddhistes pour le bien et le mal, pour le péché et la culpabilité. Dans la loi de douze originations, samskara et sa négation en semble construisent la base pour les dix autres.

Depuis que le bouddhisme s’est introduit en Chine de la civilisation indienne, beaucoup de choses se sont dites sur l’analogie et la ressemblance entre le bouddhisme et le taoïsme. Mais il faut se demander pourquoi les chinois ont eu besoin d’introduire le bouddhisme dans la tradition taoïste ? Je voudrais dire que c’est la pensée et la pratique du concept « samskara » qui construisait une solution pour la souffrance humaine, et que c’est pourquoi le bouddhisme faisait le bienvenu en Chine.

Quand on parle « rien », c’est quelque chose impossible. Une autre fois nous nous occuperons de la représentation chinoise pour ce qui ne peut pas être représenté. Pour aujourd’hui, ce dont je voudrais parler c’est que dans le rien, dans la chose impossible, s’inscrit le samskara qui peut référer tout le bien et le mal par rapport au désir et la culpabilité en terme psychanalytique.

Peut-être le concept de Rien se propose comme une alternative face à la fixation avec le vu ou le perçu. Particulièrement le mot même que le concept de « wu » fonctionne beaucoup dans la structure de la langue chinoise, et il est très dynamique, créatif, comme ce qu’on trouve chez Lao Zi, particulièrement à l’égard de l’impossibilité et l’interdit.


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Pour continuer la réflexion sur l’impossibilité et l’interdit dans la langue chinoise, je voudrais parler deux rêves que j’ai faits.

À la fin de mon analyse en Chine, qui durait pendant neuf ans, j’ai fait un rêve dans lequel il y a plusieurs hommes, inclus mon père et moi. Brusquement, un chien apparaît et il me mord la main gauche. La douleur est très vive, et provoque une grande angoisse chez moi. Je pense que le chien a la rage dont le virus m’est transmis. Je vais mourir. Je demande à mon père, un ancien chirurgien : « est-ce qu’il faut le vaccin ? » Il me dit, « non, ne t’inquiète pas. »

Au lendemain, dans la séance, par les associations, j’ai trouvé que le chien représente mon analyste, à qui j’ai donné beaucoup d’argent, donc il m’a mordu, c’est une métaphore dans le dialecte sichuanais que je parle comme ma langue maternelle. Le virus représente ce qu’il m’a transmis dans la séance analytique.

En France j’ai recommencé une nouvelle analyse. Dans le premier mois, une nuit, je rêve que je joue avec un chien. Soudain, il me mord très fortement. Je suis très angoissé du virus possible transmis par lui. Je pense que je vais mourir.

Ici, on peut répéter mon interprétation pour le premier rêve, et aussi on peut reprendre la question « Père, ne vois-tu pas que je brûle ? »


En plus, on peut préciser un peu qu’est-ce que c’est le virus. Il est un agent susceptible de transmettre la maladie. En effet, je me suis retrouvé en fauteuil à jamais à cause du virus de la polio. Mais je ne l’ai jamais vu, parce qu’il est trop petit, presque du rien, presque du vide.

En latin, le mot virus signifie le poison, le liquide de plante comme un venin. En chinois, le virus se traduit comme « bing-du »病毒, « bing » signifie la maladie, « du » le poison, donc le mot « bing-du » est un terme pour le poison qui produit la maladie.

Particulièrement, le caractère pour « du » se construit en deux parties. Le dessus est la plante et le dessous est la mère. Peut-être on peut dire que « du » est la plante interdite comme la mère ou le poison de la plante comme la mère.

Au début, le caractère chinois pour la mère se construit par un dessin de femme avec deux points comme ses seins, qui signifiait en même temps l’interdit. Après on a lié les deux points et construit un autre caractère qui se prononce « wu » signifiant l’interdit. Donc en chinois aujourd’hui, le caractère pour la mère a perdu le sens de l’interdit.

Notons que le caractère pour l’interdit se prononce « wu », même son que le caractère pour rien, vide . Donc il y a deux lignes de « wu », dont l’une est l’interdit par rapport du désir et l’autre est l’impossibilité par rapport au rien ou au vide.

Pour conclure cette intervention, je voudrais poser une question si vous me permettez le faire, c’est dire, à quelle ligne de « wu » la psychanalyse trouvera t-elle sa position en Chine ? Ou bien trouvera t-elle sa position entre les deux ou totalement hors des deux ?

Je voudrais vous remercier beaucoup pour votre attention.

 

La psychanalyse et la tradition chinoise

Qin Wei


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