Pékin expédie

les protestataires à l’asile


Pascale Nivelle

(correspondante de Libération à Pékin, le 12 décembre 2008)

 

La presse officielle relate pour la première fois les cas de deux «pétitionnaires» internés de force et drogués.



Des plaignants internés pour troubles psychiatriques. L’histoire est souvent entendue autour du «Bureau des lettres et des plaintes» de Pékin, dernier espoir pour des milliers de «pétitionnaires» provinciaux d’obtenir justice sur leur expropriation forcée ou leur licenciement illégal. Dans cette cour des miracles du sud de la capitale, ils attendent parfois des mois avant d’obtenir un simple enregistrement de leurs griefs. Il suffit de tendre l’oreille pour recueillir des récits de tabassages par des nervis, de séjours en camp de travail ou en hôpital psychiatrique. Mais il est rare de les lire dans la presse officielle. Depuis lundi, l’histoire de Shi Hengsheng et Sun Fawu indigne jusqu’aux éditorialistes du China Daily.

Drogues. Le premier a 84 ans. Ancien fonctionnaire, victime de son gouvernement local dans une affaire immobilière, il a été arrêté à Pékin en 2006 et conduit à l’hôpital psychiatrique de sa ville, Xintai (province du Shandong) où il reste deux ans et cinq mois. Le second, 57 ans, est un ancien mineur dont la maison perchée sur des galeries de charbon s’est effondrée en 1988. Il n’a jamais obtenu la moindre indemnité et a commencé à pétitionner en 2001, prenant la tête d’un comité de défense de 300 familles. Cela lui a valu des séjours en prison et en camp de travail. Arrêté avec un billet de train pour la capitale, il a été interné au centre de santé mentale de Xintai, attaché à un lit et forcé d’absorber des drogues. Lorsqu’il protestait, le médecin répondait : «Peu importe que vous soyez malade ou non. Vous êtes envoyé par le gouvernement de la ville, je vous traite comme un malade mental.»Au bout de vingt jours, Sun a pu sortir en signant un document l’engageant à cesser ses démarches.

Depuis 2006, cet hôpital aurait accueilli 18 patients aussi peu malades que Shi et Fun. Le directeur, Wu Yuzhu, a confié qu’il savait qu’aucun ne souffrait de maladie mentale, mais qu’il n’avait pas le choix. La police faisait les diagnostics et le gouvernement réglait les frais. Les responsables locaux ont rejeté la responsabilité sur leurs supérieurs de Pékin, qui les harcelaient pour qu’ils acceptent de prendre en charge les plaignants : «Il fallait chaque fois envoyer trois ou cinq personnes. Nous avons dépensé plus de 100 000 yuans (11 000 euros) pour seulement deux pétitionnaires», a dit Chen Jianfa, du gouvernement de Xintai. Le zèle a porté ses fruits: Xintai a été nommée «ville modèle pour construire un Shandong sécuris黫Un mauvais exemple de la fin qui justifie les moyens», s’indigne le China Daily, appelant à «arrêter cette cruauté».

Grogne. Pourquoi l’histoire de Shi et Sun est-elle sortie maintenant dans la presse ? Le gouvernement central, préoccupé par la grogne sociale, envoie depuis quelques semaines des signaux d’ouverture et d’apaisement : «Opprimer les pétitionnaires n’est pas une façon de gouverner», juge le China Daily.

 

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